jeudi 7 septembre 2017
Marcher dans la lumière
"Même si l'on me disait que je vais vivre mille ans, j'aurais encore peur de mourir. De ne plus voir jamais cette beauté. Ici, la beauté est partout.
Chaque jour je mets mes chaussures de marche dans le garage et je pars. Je marche dans la lumière, je regarde la lumière, j'avale la lumière, je traverse la lumière. Ma vue a commencé à baisser. Il reste autour de moi toute cette clarté, si blonde en ces après-midi d’hiver. J'avance vers la lumière dans la poussière, la boue, l'herbe de tous les chemins. L'un d’eux me conduira au royaume des ombres. Tant que je marche… Je connais chaque pierre des collines, les troncs pourris qui barrent les sentiers, les sonores éboulis, les combes luisantes de mousse. Je fais un pas, je suis ébloui. Je marche, j'ouvre les yeux, les bras, la bouche. Je vis. Chacun de mes muscles vit, chaque centimètre carré de ma peau. Je sens battre le sang dans mes épaules, mes cuisses, mes reins, il laboure mon ventre. J'avale toute cette beauté, elle illumine mon corps jusqu'à la pointe éblouie de chacun de mes nerfs."
René Frégni, Les vivants au prix des morts (Gallimard)
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