"Conrad Mur est coutumier de telles rêveries qui ne laissent en lui nuls ou d'insignifiants vestiges, dès qu'il a fini de s'y abandonner. Des fois, il a même observé que son esprit s'y reposait, en sortait avec une disponibilité beaucoup plus grande que celle qu'il y avait apportée. Pâlit donc et puis s'efface entièrement dans sa mémoire le détail de tout ce que lui a fait contempler sa plongée imaginaire, mais parce que l'heure a tourné pendant qu'il était absent, parce que le soleil s'est rapproché du bleu énorme qui va bientôt l'engouffrer, parce que les rochers gris ont pris des nuances d'iris et de violettes, parce que les ombres des poteaux télégraphiques s'allongent en travers de la route et sabrent le flanc de la montagne, parce que les pics jaillissent entre tourterelle et feuille de rose sur le ciel fouetté de petites mouchetures, Conrad ameute autour de lui des souvenirs pour se défendre contre la mélancolie qui est près de l'assaillir et à laquelle il ne veut pas céder."
"La lune, un peu au-delà de son troisième quartier, cernait d'un feu étrange les bords de quelques vapeurs soufflées en queues de renard sur le brillant du ciel, et sa lumière ruisselait sur les coteaux de Blanchemont qui font entre les deux lacs une presqu'île calcaire, où s'étagent, avec de petits bois chétifs, des carrés de vigne autour de chalets tout seuls et d'abris pointus comme les paillotes d'un village malais. Nous fussions-nous retournés que nous aurions pu voir, mais à très grande distance, errer des points obscurs : couples ainsi que le nôtre blasés de presse et de vacarme. Devant nous, aussi loin que portât le regard, il n'y avait personne."
André Pieyre de Mandiargues, L'Archéologue, in Soleil des loups
19 juillet 2016 - En attendant le soleil des loups |
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