Elle est ratée, cette photo. On ne voit même pas son visage. Et pourtant...
Et pourtant, je n'ai pas essayé de faire mieux. Pas besoin. Parce que la voix, la présence, la prestance magnifique du petit grand homme suffisaient à remplir l'espace, le cœur et les futurs souvenirs.
En rappel, il vient de réciter un ultime poème, Le Déserteur de Boris Vian, avec sa fin originelle :
Prévenez vos gendarmes
Que j'emporte des armes
Et que je sais tirer.
Magistral.
C'était Jean-Louis Trintignant, mardi dernier, à la salle Pleyel.
Il était entouré de cinq excellents musiciens, la formation de Daniel Mille (trois violoncelles, une contrebasse et un accordéon). Une heure et demie de poésie sublimée par la voix d'or de Trintignant et la musique d'Astor Piazzolla, mots et notes mêlés de façon sobre, sensuelle, émouvante, élégante, intense.
Il fut bien sûr beaucoup question d'amour, et de mort aussi, la mélancolie en trait d'union. Jacques Prévert était à l'honneur, ainsi que, entre autres, Robert Desnos, Boris Vian, Guillaume Apollinaire, Raymond Carver, et aussi Gaston Miron, que je ne connaissais pas, avec une bouleversante Marche à l'amour :
Tu as les yeux pers des champs de rosées
Tu as des yeux d'aventure et d'années-lumière
La douceur du fond des brises au mois de mai [...]
D'Apollinaire ce fut la Scène nocturne du 22 avril 1915 (in Poèmes à Lou) :
Mon ptit Lou adoré Je voudrais mourir un jour que tu m’aimes
Je voudrais être beau pour que tu m’aimes
Je voudrais être fort pour que tu m’aimes
Je voudrais être jeune jeune pour que tu m’aimes [...]
De Desnos, Aujourd'hui je me suis promené (in État de veille) :
Aujourd’hui je me suis promené avec mon camarade,
Même s’il est mort,
Je me suis promené avec mon camarade.
Qu’ils étaient beaux les arbres en fleurs,
Les marronniers qui neigeaient le jour de sa mort.
Avec mon camarade je me suis promené [...]
enchaîné, en écho, avec l'hommage rendu par Prévert :
Aujourd'hui
comme en 1925 comme en 1936 comme en 1943 dans la rue
Dauphine quand il allait chercher à manger pour ses chats de la rue
Mazarine avant d'être cravaté emporté déporté
tué
par la guerre la police la vacherie le typhus
je me suis promené avec
Robert
Desnos
oui je me suis promené avec lui [...]
Une grande soirée. Merci Jean-Louis Trintignant. C'était bien.
* * *
Caro Papa, je te dédie ces quelques lignes, et ma soirée du 7 mars. Car tu aurais aimé, toi aussi, être là, j'en suis sûre. Tu adorais l'accordéon, Piazzolla, le tango. Tu aimais Vian, Prévert, d'ailleurs dans ma bibliothèque, ces traces très présentes de tes lectures de jeune homme...
Et puis Trintignant aussi, évidemment, tu l'aimais. Le Fanfaron, Le Conformiste, tu te souviens ? Trintignant, c'est ta génération, et si tu n'étais pas parti ce 13 mars, il y a quatorze ans, tu aurais à peu près son âge, à peine quelques années de moins. Alors, mardi soir, c'était aussi un peu toi que je regardais, que j'écoutais...
Du bien beau monde, ça fait envie.
RépondreSupprimerOui, une belle assemblée, avec des fantômes en pleine forme...
SupprimerMerci pour vos mots… ces souvenirs… j'y étais aussi, j'ai la même photo ratée et tout au fond de mon cœur la même émotion intacte et inaltérable.
RépondreSupprimerMerci à vous pour ce commentaire. Moment qui restera éternel en effet.
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