"L'année 1966 tirait à sa fin. En Chine, Mao ne voulait plus la gentillesse, mais la guerre. Walt Disney était mort. Quelques étudiants s'excitaient du côté de Strasbourg, provoquant un énorme scandale. De Gaulle avait poliment demandé aux Américains de plier bagage, faisant plonger le Berry dans la déréliction. Les gens découvraient la mode anglaise, la Renault 8 Gordini, le stylo-bille et La Vache qui rit. Je regardais tout cela de très loin, comme derrière un verre voilé. J’avais consumé ma quarantième année dans le feu et le sang. J'avais tiré sur des ombres d'hommes. Il pleuvait quasiment tous les jours et les arbres accrochaient des haillons de nuages flasques dans leurs branches fluettes. Le monde, ses contours imparfaits, flottait, se reflétant dans un miroir dépoli à l’acide. Les feuilles mortes jonchaient les trottoirs, macéraient dans l'eau. Tout l'automne à la fin n'était plus qu'une tisane froide."
* * *
"Nos visages de craie. Nos visages de cendre. Sous l'œil inquisiteur de l'ampoule.
Nos âmes encagées dans ce minuscule local, trois âmes, celles d'un tueur présumé, d'un flic chevronné et de son fantôme, trois âmes se cognant contre les murs, sombre supplice, sombre peine, trois âmes perdues dans le cheminement des mots, dans les digressions trompeuses et les silences, trois âmes emmurées.
La lumière ne s'est jamais éteinte."
* * *
C'est noir, c'est fort, c'est "Avant l'aube" de Xavier Boissel. Sur fond d'enquête autour de la découverte d'un cadavre de femme sur la Petite Ceinture, l'auteur nous offre une plongée sombre et hallucinée dans la France de De Gaulle. Avec en prime de judicieuses citations qui émaillent le texte, recensées à la fin du livre (comme ci-dessus, la phrase en italique tirée du poème La Fin de l'automne de Francis Ponge, in Le Parti pris des choses).
La Petite Ceinture, août 2017 |
Merci, cela donne envie ! En plus, sur cette chère petite ceinture...
RépondreSupprimerOui ! Je vous le recommande en effet vivement, cher Matthieu.
Supprimer