Retrouvé dans la malle aux trésors de Manosque |
"Le train siffla et se mit à rouler de plus en plus vite, les maisons devinrent plus rares, et, après un pont de fer, traversé à toute vitesse et dans un fracas assourdissant, la campagne commença.
Le train roulait à toute vitesse et, pour Luca, cette vitesse était comme un contraste délicieux avec sa propre inertie. Qu'était donc le train par rapport à lui, sinon quelque chose qui avait une direction, un but, une volonté, comme naguère la passion de l'infirmière et la sollicitude de ses parents ? Tout d'un coup, il se dit qu'il serait beau de continuer ainsi, toute la vie. Au train, à l'infirmière, aux parents, succèderaient des forces plus vastes sinon plus mystérieuses, et il s'abandonnerait à ces forces avec la même confiance et le même délice. Il se vit soldat en loques, blessé, affamé, soldat d'une armée dont il ignorait les chefs et la guerre ; mendiant, en proie à une misère dont il n'était ni responsable ni conscient ; riche d'une fortune dont il n'avait pas gagné le premier sou ; exalté, au faîte d'un pouvoir qu'il n'avait pas brigué ; prêtre d'une Église dont il ne connaissait pas les rites ; mort enfin, ultime délice à la suite d'une catastrophe qu'il n'avait ni prévue, ni voulu éviter. Le fracas du train passant sur les joints des rails, le battement rapide et régulier des roues, le sifflement dont la locomotive déchirait le silence de la campagne, la fuite même, à rebours, de cette campagne derrière les vitres des fenêtres, tout cela stimulait le rythme de ses pensées. Oui, il était entré maintenant dans un large, vertigineux et puissant courant où il n'était qu'un fétu qui ne pouvait pas ne pas se laisser entraîner, espérant tout juste surnager jusqu'à la fin. Et il s'y abandonnait avec confiance, les yeux clos, comme il s'était abandonné plusieurs jours auparavant à l'étreinte de l'infirmière."
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