Quant à l'idée de la patrie, c'est-à-dire d'une certaine portion de terrain dessinée sur la carte et séparée des autres par une ligne rouge ou bleue, non ! la patrie est pour moi le pays que j'aime, c'est-à-dire celui que je rêve, celui où je me trouve bien.
Lettre à Louise
Colet, 1846
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Quand on aime, on aime tout. Tout se voit en bleu quand on porte des lunettes bleues. L’amour, comme le reste, n’est qu’une façon de voir et de sentir. C’est un point de vue un peu plus élevé, un peu plus large ; on y découvre des perspectives infinies et des horizons sans bornes.
Lettre à Louise Colet, 1846
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As-tu éprouvé quelquefois le regret que l’on a pour des moments perdus, dont la douceur n’a pas été assez savourée ? C’est quand ils sont passés qu’ils reviennent au cœur, flambants, colorés, tranchant sur le reste comme une broderie d’or sur un fond sombre.
Lettre à Louise Colet, 1846
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Chaque jour j’ai de plus en plus besoin de soleil ! Il n’y a guère que ça de beau au monde, ce grand bec de gaz suspendu là-haut par les ordres d’un Rambuteau inconnu !
Lettre à Ernest Chevalier, 1847
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Il est toujours triste de partir d’un lieu où l’on sait que l’on ne reviendra jamais. Voilà de ces mélancolies qui sont peut-être une des choses les plus profitables des voyages.
Lettre à Louis Bouilhet, 1850
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Moi, avant de mourir, je revisiterai mes rêves.
Lettre à Louise Colet, 1853
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Oh ! la vie pèse lourd sur ceux qui ont des ailes ; plus les ailes sont grandes, plus l’envergure est douloureuse. Les serins en cage sautillent, sont joyeux ; mais les aigles ont l’air sombre, parce qu’ils brisent leurs plumes contre les barreaux. Or nous sommes tous plus ou moins aigles ou serins, perroquets ou vautours. La dimension d’une âme peut se mesurer à sa souffrance, comme on calcule la profondeur des fleuves à leur courant.
Lettre à Louise Colet, 1853
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Tout ce qu’on invente est vrai, sois-en sûre. La poésie est une chose aussi précise que la géométrie. L’induction vaut la déduction, et puis, arrivé à un certain point, on ne se trompe plus quant à tout ce qui est de l’âme.
Lettre à Louise Colet, 1853
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Ce qui me semble, à moi, le plus haut dans l’Art (et le plus difficile), ce n’est ni de faire rire, ni de faire pleurer, ni de vous mettre en rut ou en fureur, mais d’agir à la façon de la nature, c’est-à-dire de faire rêver.
Lettre à Louise Colet, 1853
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Le seul moyen de supporter l’existence, c’est de s’étourdir dans la littérature comme dans une orgie perpétuelle. Le vin de l’Art cause une longue ivresse et il est inépuisable. C’est de penser à soi qui rend malheureux.
Lettre à Mademoiselle Leroyer de
Chantepie, 1858
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C’est surtout quand on voyage que l’on sent profondément la mélancolie de la matière, qui n’est que celle de notre âme projetée sur les objets.
Lettre à Mademoiselle Leroyer de
Chantepie, 1859
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Ah ! oui, je veux bien vous suivre dans une autre planète. Et à propos d’argent, c’est là ce qui rendra la nôtre inhabitable dans un avenir rapproché, car il sera impossible d’y vivre, même aux plus riches, sans s’occuper de son bien ; il faudra que tout le monde passe plusieurs heures par jour à tripoter ses capitaux. Charmant !
Lettre à George Sand, 1867
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Je me suis pâmé, il y a huit ans, devant un campement de Bohémiens qui s’étaient établis à Rouen. Voilà la troisième fois que j’en vois et toujours avec un nouveau plaisir. L’admirable, c’est qu’ils excitaient la haine des bourgeois, bien qu’inoffensifs comme des moutons.
Je me suis fait très mal voir de la foule en leur donnant quelques sols, et j’ai entendu de jolis mots à la Prud’homme. Cette haine-là tient à quelque chose de très profond et de complexe. On la retrouve chez tous les gens d’ordre.
C’est la haine qu’on porte au bédouin, à l’hérétique, au philosophe, au solitaire, au poète, et il y a de la peut dans cette haine. Moi qui suis toujours pour les minorités, elle m’exaspère.
Lettre à George Sand, 1867
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Il faut toujours protester contre l’injustice et la bêtise, gueuler, écumer et écraser quand on le peut.
Lettre à George Sand, 1873
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Je n’attends plus rien de la vie qu’une suite de feuilles de papier à barbouiller de noir. Il me semble que je traverse une solitude sans fin, pour aller je ne sais où. Et c’est moi qui suis tout à la fois le désert, le voyageur et le chameau.
Lettre à George Sand, 1875
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Merci chère Florence, pour ces extraits de correspondance de Flaubert
RépondreSupprimeret cette affiche du gueuloir.
J'ai pris plaisir à rechercher la lettre de George Sand qui avait motivé la réponse de Flaubert , et la voici :
"Cher Camarade,
... A présent, ce qui se présente à mes yeux, quand je m'éveille, c'est la planète. J'ai quelque peine à y retrouver le "moi" qui m'intéressait jadis, et que je commence à appeler "vous" au pluriel. Elle est charmante, la planète, très intéressante, très curieuse, mais pas mal arriérée et encore peu praticable. J'espère passer dans une oasis mieux percée et possible à toue. Il faut tant d'argent et de ressources pour voyager ici ! Et le temps qu'on perd à se procurer ce nécessaire est perdu pour l'étude et la contemplation.
Il me semble qu'il m'est dû quelque chose de moins compliqué, de moins civilisé, de plus naturellement luxueux et de plus facilement bon que cette étape enfiévrée.
Viendras-tu dans le monde de mes rêves, si je réussis à en trouver le chemin ? Ah! qui sait ?...
Lettre du 9 janvier 1867 à Gustave Flaubert
Merci beaucoup à vous, cher(e) Anonyme, d'avoir ainsi recherché cette lettre et de nous la faire partager ! C'est vrai que la phrase de Flaubert "Ah ! oui, je veux bien vous suivre dans une autre planète" était assez intrigante.
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