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vendredi 8 février 2019

nous parlerons peu



demain c'est à nous deux Paris
mais pas Rastignac pour un sou
j'irai voir mon ami Kani
avec qui je fus parfois saoul

nous parlerons peu nous aurons
de longs silences mémorables
dans des bistrots nous rêverons
à des fortunes improbables

vous qui me lirez dans cent ans
(si vous avez le droit de lire)
songez que mon fantôme a tant
et tant de choses à vous dire

en dépit de sa maladresse
et de son mutisme contraint
cartes postales sans adresse
et toujours le Diable et son train

Jean-Claude Pirotte, La vallée de Misère (Editions Le temps qu'il fait)

lundi 12 février 2018

mais il reste les fenêtres



"je contemple le ciel
et comment le décrire ?
il faudrait une longue habitude
celle des anges par exemple

je ne parle pas de celle des dieux
blasés devant les nuages
et l'étendue des cieux

ni de celle des aéronefs
qui font la course au soleil
et dédaignent la lune

mais il reste les fenêtres
qui accueillent le ciel du soir
et le reflètent longtemps
mieux que les toits mieux que l'étang"

Jean-Claude Pirotte, Ajoie (La Table Ronde)

vendredi 3 février 2017

Tous les soirs du monde



"Un soir précautionneux montait du Tage avec des allures de souvenirs baudelairiens, et tu murmurais en souriant sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille, tu réclamais le soir, cependant que tous les soirs du monde, nous voulions le croire à n’importe quel prix, tous les grands soirs aventureux et vagabonds s’étendaient devant nous, prêts à nous appartenir."

Jean-Claude Pirotte, Boléro

jeudi 26 janvier 2017

Rien, pas un poème



« Je suis tellement fatigué.
Par la fenêtre passe le mauve du ciel lourd. Les arbres à de rares moments s’ébouriffent. Qu'est-ce que cela peut me faire ? Le paysage, je l'abandonne à lui-même comme je m'abandonne à l'absence. On entend soudain un coup de vent brutal.
Et je m'enfonce dans un brouillard d'angoisse diffuse. Pour y échapper, le "moyen" serait d'écrire des poèmes. Or, depuis notre retour ici, et en attendant le départ, rien, pas un poème. »

Nicolas de Staël, Arbres (1953)

« Je pense à Dhôtel pour qui le roman, la vie (c'est pareil), c'est "d'aller de proche en proche", et à de Staël qui, lui, déclare "aller d'accident en accident". »



mardi 13 décembre 2016

Le soleil, la lune, et les deux poètes



"les dîners de lune font
suite aux déjeuners de so-
leil
dans ma bibliothèque
Fargue occupe un beau rayon

où je puise des ludions
des après-midi de sieste
et des parfums de pastèque
sur les marchés de l’aurore"

Jean-Claude Pirotte, in Gens sérieux s’abstenir (Éditions Le Castor Astral)

(à suivre, probablement)

samedi 29 octobre 2016

Compagnons de voyage, suite - Les mots en écho


"D'accord, dit Jan, on passera par là.
Nous boirons des vins tranquilles."

Jean-Claude Pirotte, Une adolescence en Gueldre


"Soudain, au tournant de la page, une telle phrase nous arrête net ; nous y avons reconnu le timbre que de très rares voix seulement nous permirent d'entendre, le don de faire lever les souvenirs de leurs sillons."
André Hardellet, Les Chasseurs


"Impossible de renoncer aux références littéraires. C’est irritant. Je suis incapable de m’engager dans l’existence, de la voir telle qu’elle se déroule, et d’accueillir simplement les heures, les paysages, les vagues du quotidien. Rien ne me touche qui ne soit passé par le crible de mes lectures. Pas un instant je ne suis présent au monde, est-ce que j’exagère ? Je vis dans ma réserve de Sioux, entouré de mes totems, sans quoi je n’ai pas accès à ce que chacun s’accorde à nommer la réalité. Je ne réussis à concevoir le temps qui passe qu’en me perdant le long des couloirs labyrinthiques d’une chronologie chambardée."
Jean-Claude Pirotte, Une adolescence en Gueldre 


André Hardellet, Les Chasseurs

"Et c'est là que je deviens vieux. A la réflexion, vieux, je le suis depuis l'enfance. Il faut te contraindre à la lenteur. Tu as rompu ton alliance avec le Temps, c'était cela l'enfance, un accord immédiat. Le coeur de l'être, l'apogée. Ensuite, on se résigne à l'existence. Il y sans doute une période d'adaptation (ou de perdition) durant laquelle on croit nécessaire, et malin, de jeter le froc aux orties. Les défroques de l'enfance, le froc religieux des personnages d'enluminures. La bure, le délicieux silice, la toge candide, que sais-je ? Les oripeaux de l'ermite, puisque l'enfance cultive en grand mystère une vocation de stylite. Me voilà beau, avec mes amours triviales, et mon enfance égarée."
Jean-Claude Pirotte, Une adolescence en Gueldre 

jeudi 6 octobre 2016

Compagnons de voyage




Ceux qui m’aiment prendront le train.
Et moi je le prendrai ce soir avec ces deux merveilles surgies du temps, direction les grands chemins, le plateau Grémone.

mardi 2 août 2016

entre, lune



"entre, lune, par la soupente
entrouverte car il est temps
d'écrire ensemble la romance
de ton reflet dans les étangs

entre poser sur ma main blanche
et ma page tout aussi pâle
ton regard avant que le temps
nous sépare d'un coup d'épaule

viens murmurer à mon oreille
ce que ne dit pas le soleil
viens partager ma longue attente
et me dicter les mots de craie
sur l'ardoise de mon enfance"

Jean-Claude Pirotte, exercices de lune, in Plein emploi (Editions Le Castor Astral)



lundi 22 septembre 2014

Anges, poètes et noms qui enchantent



"C'est très ennuyeux de vieillir. Je n'en ai pas envie du tout. Je dois avoir atteint le sommet. De la vie, de la lucidité, des désirs même. Peut-être de l'égalité d'âme. Me désolidariser d'un corps qui accède à l'apparence d'un corps d'adulte, est-ce possible ? Le paradoxe est que je me prénomme Ange. Le grand-père préfère Angelo, a-t-on idée de baptiser Ange un enfant perdu ? Je connais cette félicité de ne se considérer comme responsable de rien. J'ai gardé jusqu'ici comme le plus précieux des biens l'innocence du gamin des rues. Et en même temps, cela va de soi, mes perversions ingénues. Le mal glisse sur ma peau fraîche et je protège ma virginité (morale, au moins) sous le vernis de l'affranchi, ma barbe naissante est douce, je n'ai rien de boutonneux et mon allure donne le change. J'ai cru comprendre Rimbaud lorsque je me suis mis à le lire. Ou ne rien comprendre, plutôt, car il n'y a rien que la révolte venue d'un autre ciel. Heureusement j'ai découvert aussi Odilon-Jean Périer. Le prénom double m'a d'abord enchanté. Le petit bouquiniste myope qui m'a vendu le volume écorné ne connaît pas la valeur de ce qu'il vend. Tant mieux. J'avais lu dans l'ombre poussiéreuse de sa boutique le premier titre : La Vertu par le Chant. J'ai feuilleté. Soudain voici :

Ange, rude et malin, mon doux ange anarchiste,
qui te penches la nuit sur des textes amers.

Ou bien :

Beaucoup d'anges sont en vacances
dans la banlieue que nous aimons.

Ce sont les textes amers qui m'ont bouleversé. Beaucoup d'anges, qui sait ? Je repense à Hélène, la serveuse, n'est-elle pas un ange de passage, elle aussi ? En vacances, on peut dire que, moi, j'ai la chance de l'être. Mais elle ? Irai-je la délivrer de sa condition servile, ou du moins ancillaire ?

J'ignore tout de la vie d'Odilon-Jean. Il a aussi écrit un roman : Le Passage des anges, que je n'ai trouvé nulle part. Certes c'est un ange, et je soupçonne qu'il n'est pas de ce monde. Mais sa légèreté se pose sur le monde avec une telle douceur que cela me bouleverse et m'accable. Or ai-je jamais pleuré ? Trop de tendresse, une amertume voilée, la nostalgie de ce qui sera, et n'est déjà plus que dans la mémoire du futur, allons,
Obéissons à l'ordre
Du cher Cabaret,
me dit-il en sourdine. Et j'entends aussi le Rimbaud du Cabaret vert.
Ces frères-là me sont, en compagnie d’autres que je dirai, plus précieux que mon phaéton somptueux. Ils vont à pied, par des chemins que j'ignore, mais nous nous rejoindrons au cabaret (celui de la dernière chance d'être un adolescent fugueur, qui sait ?). Il y a des poèmes datés de 1921, l'ange serait-il mort ? Jeune, oui, très jeune, comme Laforgue et ses Pierrots."

Jean-Claude Pirotte, Place des Savanes


lundi 11 août 2014

Tu te souviens de Suippes ?



« J'avais traversé Suippes en trombe. Le boulanger prenait le frais sur son seuil. La bouchère actionnait la manivelle de son volet mécanique. J'avais eu le temps d'entendre au passage, à la faveur d'une baisse de régime du moteur, le grincement poussif de la crémaillère. J'ai pensé : village de France, je te prends et je te tue, je troue la toile de ton décor, tu étais un souvenir poignant, tu étais à moi, rien qu'à moi, j'ai donc le droit de t'anéantir. Et Suippes disparaissait dans le rétroviseur.
Je n'en avais cependant pas fini de l'évoquer, bien qu'à considérer raisonnablement les choses il ne se fût rien passé de notable à Suippes au cours de mon existence. Mais c'était lors de notre premier voyage. Et plus tard, souvent, Hilde me demanderait à brûle-pourpoint :
- Tu te souviens de Suippes ?
C'était une des phrases de notre langage codé. La plus mystérieuse en somme, puisque cela signifiait si peu de chose, un goût de bonheur impalpable. La courte lettre qu'elle m'avait laissée avant de mourir, et que la police ni le juge d’instruction n'avaient - par quelle négligence ? - à aucun moment repérée (elle m'aurait pourtant disculpé, j'imagine, à moins d'être interprétée comme une preuve du crime, on ne peut jamais savoir, mais qu'est-ce que cela pouvait me faire ? Hilde m'avait quitté), cette lettre, ou plutôt ce billet, se terminait par la petite phrase magique : "Tu te souviendras de Suippes". N'était-ce pas comme si, sans colère, Hilde, m'accusant de sa mort, proclamait notre complicité, me pardonnait de vivre, puisque je ne serais jamais coupable, si je me souvenais de Suippes. On aurait dit que le nom de Suippes avait été tracé à la laque, il miroitait comme une enluminure. Quel symbole voulait-il figurer ? Celui du péché, celui de la rédemption, qu'importe. Ni péché ni rédemption. Rien que la pureté reconquise. L'essentiel, toujours, demeure ce qui n'est pas dit. »


« Hilde a souri :
- La sorcière nous a fait boire un philtre.
Au pied de la tour de Montalifant, nous avons acheté deux cartes-vues. Sur la première j'ai inscrit le nom et l'adresse de Hilde Idsega, Hôtel de la Loire, Blois (Loire-et-Cher). Sur la seconde, Hilde inscrivait : Jan Idsega, Hôtel de la Loire, Blois (Loire-et-Cher). Les cartes représentaient l'une et l'autre la même vue du château. Hilde a tracé les mots : "Je t'embrasse." De mon côté, j'ai écrit : "Moi aussi". Et j'ai signé. »