«
Sur la place de Clichy, Céleste se met en mouvement. Après avoir
attendu sagement au feu, elle traverse l’avenue de Clichy, poursuit
jusqu’au boulevard de Clichy, tourne jusqu’à la rue de Clichy, s’effraie
de ces redondances clichiesques, et, pour couper court, prend
brusquement la rue d’Amsterdam. La rue est étroite, assez laide, mais
elle descend. Elle descend vers le sud. Si tu ne sais pas où
aller, mets toujours le cap vers le sud, il sera toujours temps après
d’aviser, disait la grand-mère de Céleste. Eh bien voilà, mamie, je suis
toujours tes conseils, je marche dans une rue sombre et froide, où la
pollution abandonnée par les bus et tout ce qui roule semble coincée
bien bas, entre des immeubles gris habités par des boutiques au rabais,
mais je vais vers le sud, et plus tard, j’aviserai. »
Nathalie Peyrebonne, Rêve général
vendredi 19 avril 2013
dimanche 14 avril 2013
La lune, le temps, la rencontre et le rêve
« - T'es complètement fou.
Vincent hocha derechef.
- On peut dire ça, ou alors simplement, qu'elle et moi, on s'est rencontrés. D'après un dictionnaire usuel du XXe siècle, le mot rencontre est apparu en français au XIIIe, avec le sens de coup de dés et de combat, ce qui est déjà une bonne indication de ce qui a suivi, en ce qui me concerne. Depuis 1538, le terme rencontre désigne "le fait pour deux personnes de se trouver en contact, d'abord par hasard, puis par ext., d'une manière concertée ou prévue". J'aime la promesse qu'apporte ce par ext. Elle m'annonce que revoir Charlotte ne sera qu'une question de temps. Or, selon ce même dico, le mot temps est ce "milieu indéfini où paraissent se dérouler irréversiblement les existences dans leur changement". Paraissent ! Tu te rends compte ? Ce paraissent me ravit. D'autant qu'un autre dictionnaire, moins usuel, le Boustrophédon en sept volumes, fournit une étymologie différente du terme rencontre, il vient de tenscontre, vieux mot formé à partir de tens, temps en ancien français et de contre. Se rencontrer, c'est donc contrer le temps.»
« Mais B. peut bien s'appeler pour nous Raymond, et A. porter l'identité du nouveau détenu qui a remplacé Vincent dans la cour de promenade, A. et B. ont développé leurs capacités à rêver éveillés au point qu'en ce moment même, dans leur déambulation, ils voyagent, ils sont ce qu'ils veulent.
Ici, dans cette cour et dans ce livre, je, pas moi, l'autre, prend parti. Contre les liens sociaux et ceux du sang qui m'imposent des semblables, des frères que je n'ai pas choisis. Contre l'identité qui m'enferme et m'associe de force. Pour le rêve, ses déambulations non programmées et ses associations libres.»
Serge Quadruppani, "Les Alpes de la lune"
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