mercredi 30 mai 2018

Promenades (15)



"Si les sons, les saveurs et les parfums sont bien ces sublimateurs de l'essence de la mémoire dont parle George du Maurier dans Peter Ibbetson, que dire de l'enchantement que peut provoquer en nous la vue d'une simple façade, une porte cochère, une faille secrète entre rue et jardin, de simples fleurs, tant d'objets où se prirent nos regards, qui mirent nos sens en cause et fixèrent notre attention avant d'être eux-mêmes emportés par le flot d'autres images, d'autres impressions, il y a longtemps, et que nous redécouvrons, que nous actualisons. La chose peut se produire lors d'une flâne dans une ville, un bourg ou sur un vieux chemin - car, sur ce point, j'en suis garant, marcheur des villes et marcheur des champs se rejoignent et se complètent."

La promenade rétrospective, in Le Sentiment des rues, Joël Cornuault


* * *

Je me souviens d’avoir vu Peter Ibbetson à l’automne 1983 rue Champollion.


"Ceux que j’aime et admire le plus, ceux qui m’ont ouvert les yeux, ont pris racine dans le ou leur passé. Proust, le plus grand, mais aussi Aloysius Bertrand, Nerval, l’Aragon du Paysan de Paris, George Du Maurier. Celui-ci écrivit ce Peter Ibbetson que j’emporterais, de préférence à tout autre roman, dans l’île déserte."

André Hardellet, Donnez-moi le temps

"Quelqu’un surgit de l’ombre et se planta devant moi.
- Bonne nuit, me dit-il. Je vous attendais. Mon nom est Peter.
Je l’examinai : un grand gaillard barbu, très élégant, dont le visage me rappelait quelqu’un, ou quelque chose, que je ne parvenais pas à préciser. Si j’avais écouté ma première impression, j’aurais dit que je l’avais rencontré dans un livre, ce qui était absurde."

André Hardellet, Lady Long Solo

lundi 21 mai 2018

Pensons à toute la terre


Patagonie, mars 2018

"Je prends congé, je rentre
chez moi, dedans mes rêves,
je retourne à cette Patagonie
où le vent frappe les étables
et où l'Océan disperse la glace.
Je ne suis qu'un poète et je vous aime tous,
je vais errant par le monde que j'aime :
dans ma patrie on emprisonne les mineurs
et le soldat commande au juge.
Mais j'aime, moi, jusqu'aux racines
de mon petit pays si froid.
Si je devais mourir cent fois,
c'est là, oui, que je veux mourir,
si je devais naître cent fois,
c'est là aussi que je veux naître,
près de l'araucaria sauvage,
des bourrasques du vent du Sud,
des cloches depuis peu acquises.
Qu’aucun ne pense à moi. Pensons
à toute la terre, frappons
amoureusement sur la table.
Je ne veux pas revoir le sang
imbiber le pain, les haricots noirs,
la musique : je veux que viennent
avec moi le mineur, la fillette,
l'avocat, le marin
et le fabricant de poupées,
que nous allions au cinéma, que nous sortions
    boire le plus rouge des vins.


    Je ne viens rien solutionner.

    Je suis venu ici chanter, je suis venu
    afin que tu chantes avec moi."
 
Pablo Neruda, Chant général (Poésie/Gallimard, traduction Claude Couffon)


Patagonie, mars 2018
 

jeudi 17 mai 2018

mardi 8 mai 2018

Promenades (14) - Tout au fond du XIIIe arrondissement (3)



Il y a quelque temps, sur les traces de Nestor Burma dans Brouillard au Pont de Tolbiac de Léo Malet, en particulier dans son adaptation par Tardi, j'avais cherché en vain le passage des Hautes-Formes, où habitaient son ancien camarade anarchiste Lenantais avant qu'il ne soit assassiné, ainsi que la belle gitane Bélita.



Déception ! Le passage des Hautes-Formes, reliant la rue Nationale à la rue Baudricourt, n'est plus, englouti à la fin des années 70 par un programme de constructions modernes. Ironie du sort, lui qui tirait son nom de quelques maisons édifiées au Moyen Age se distinguant par leur hauteur supérieure à la moyenne de l'époque, a aujourd'hui disparu au profit de tours et immeubles élevés comme on en trouve beaucoup dans le XIIIe arrondissement.


Cependant, au détour d'un billet sur un autre vagabondage dans le treizième arrondissement, Matthieu de Missa Sine Nomine (que je remercie vivement !) me mit récemment sur la piste du passage Bourgoin cher au Sniper de Frédéric H. Fajardie. Quelques rapides recherches plus loin, quelle ne fut pas ma surprise de constater que ce passage Bourgoin (situé entre la rue Nationale et la rue du Château-des-Rentiers), distant d'à peine quelques encablures de l'ancien passage des Hautes-Formes, avait en fait servi de modèle à Tardi pour dessiner ce dernier dans Brouillard au Pont de Tolbiac !

Une nouvelle promenade, idéale en un radieux dimanche de printemps - dans une atmosphère certes assez éloignée du brouillard et de la pluie hivernaux associés au passage aussi bien chez Tardi que chez Fajardie -, s’imposait donc. 


"Alain Sigualéa gara la Méhari rue Nationale et, l'attaché-case dans une main, une gerbe de roses rouges dans l'autre, pénétra dans le passage Bourgoin.
Une fois de plus, et bien qu'il y habitât depuis trois ans, il s'immobilisa pour contempler la ruelle, trop peu large pour livrer passage à une voiture.
Ça ne ressemblait à aucun autre endroit de Paris. Un petit défilé bordé de minuscules pavillons. De loin en loin, d'antiques réverbères distribuaient une lumière parcimonieuse en délicats halos, corolles frissonnantes dans l'épaisse brume d'hiver.
Bien qu'il n'eût jamais vu ni l'un ni l'autre, ça lui évoquait un décor de maison de poupées, ou encore ces ruelles irlandaises, à Dublin, et ce type, le "Mouchard", dans le roman d'O'Flaherty. Manquait plus, à l'entrée, qu'un Fish and Chips enveloppant de papier journal les rations fumantes.
Alain Sigualéa savoura son bonheur quelques secondes encore et, comme tombaient les premières gouttes, obliques et froides, d'une petite pluie, il se remit en route.
Il s'arrêta trente mètres plus loin devant une porte peinte en vert qu'il ouvrit. Puis, sans un regard pour les quelques mètres carrés du jardin floral et potager, extraordinairement soignés, il gravit l'escalier de bois et entra directement au premier étage."

Frédéric H. Fajardie, Sniper
 

Le passage Bourgoin tient son nom du propriétaire des parcelles (initialement agricoles) sur lequel il a été ouvert vers 1880. Etienne Bourgoin possédait également les terrains de son voisin jumeau le passage National. Plus chanceux que le passage des Hautes-Formes, ils ont tous deux échappé au début des années 1980 à une destruction programmée, et sont maintenant protégés. Comme souvent dans le XIIIe, charme de province paisible et contrastes ancien / moderne sont au rendez-vous.






"Le Sniper habitait dans le coin. Ça, il le sentait.
Un coin… intéressant. Compliqué, certes, parce que ce mélange de taudis et d'immeubles hyper-modernes, ces migrants et ces cadres, ça formait un cocktail bizarre.
Mais indéniablement intéressant.
Il songea, le cœur léger, qu'il allait lui falloir beaucoup lire et beaucoup se balader avant de bien connaître le XIIIe arrondissement. 
Justement, deux choses qu'il aimait."

Frédéric H. Fajardie, Sniper

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En rentrant par la Butte-aux-Cailles, on croisera un poète...


... un autre charmant passage endormi, le passage Boiton ...


... encore des glycines, ici dans le passage du Moulinet...


... et, rue du Moulin-des-Prés, Michel et Patricia s'embrassant pour l'éternité comme dans la rue Xavier Privas.


mardi 1 mai 2018

Solitude (13) - Rouge (1)



L'évidente force du rouge, même en solitude.