mardi 8 mai 2018

Promenades (14) - Tout au fond du XIIIe arrondissement (3)



Il y a quelque temps, sur les traces de Nestor Burma dans Brouillard au Pont de Tolbiac de Léo Malet, en particulier dans son adaptation par Tardi, j'avais cherché en vain le passage des Hautes-Formes, où habitaient son ancien camarade anarchiste Lenantais avant qu'il ne soit assassiné, ainsi que la belle gitane Bélita.



Déception ! Le passage des Hautes-Formes, reliant la rue Nationale à la rue Baudricourt, n'est plus, englouti à la fin des années 70 par un programme de constructions modernes. Ironie du sort, lui qui tirait son nom de quelques maisons édifiées au Moyen Age se distinguant par leur hauteur supérieure à la moyenne de l'époque, a aujourd'hui disparu au profit de tours et immeubles élevés comme on en trouve beaucoup dans le XIIIe arrondissement.


Cependant, au détour d'un billet sur un autre vagabondage dans le treizième arrondissement, Matthieu de Missa Sine Nomine (que je remercie vivement !) me mit récemment sur la piste du passage Bourgoin cher au Sniper de Frédéric H. Fajardie. Quelques rapides recherches plus loin, quelle ne fut pas ma surprise de constater que ce passage Bourgoin (situé entre la rue Nationale et la rue du Château-des-Rentiers), distant d'à peine quelques encablures de l'ancien passage des Hautes-Formes, avait en fait servi de modèle à Tardi pour dessiner ce dernier dans Brouillard au Pont de Tolbiac !

Une nouvelle promenade, idéale en un radieux dimanche de printemps - dans une atmosphère certes assez éloignée du brouillard et de la pluie hivernaux associés au passage aussi bien chez Tardi que chez Fajardie -, s’imposait donc. 


"Alain Sigualéa gara la Méhari rue Nationale et, l'attaché-case dans une main, une gerbe de roses rouges dans l'autre, pénétra dans le passage Bourgoin.
Une fois de plus, et bien qu'il y habitât depuis trois ans, il s'immobilisa pour contempler la ruelle, trop peu large pour livrer passage à une voiture.
Ça ne ressemblait à aucun autre endroit de Paris. Un petit défilé bordé de minuscules pavillons. De loin en loin, d'antiques réverbères distribuaient une lumière parcimonieuse en délicats halos, corolles frissonnantes dans l'épaisse brume d'hiver.
Bien qu'il n'eût jamais vu ni l'un ni l'autre, ça lui évoquait un décor de maison de poupées, ou encore ces ruelles irlandaises, à Dublin, et ce type, le "Mouchard", dans le roman d'O'Flaherty. Manquait plus, à l'entrée, qu'un Fish and Chips enveloppant de papier journal les rations fumantes.
Alain Sigualéa savoura son bonheur quelques secondes encore et, comme tombaient les premières gouttes, obliques et froides, d'une petite pluie, il se remit en route.
Il s'arrêta trente mètres plus loin devant une porte peinte en vert qu'il ouvrit. Puis, sans un regard pour les quelques mètres carrés du jardin floral et potager, extraordinairement soignés, il gravit l'escalier de bois et entra directement au premier étage."

Frédéric H. Fajardie, Sniper
 

Le passage Bourgoin tient son nom du propriétaire des parcelles (initialement agricoles) sur lequel il a été ouvert vers 1880. Etienne Bourgoin possédait également les terrains de son voisin jumeau le passage National. Plus chanceux que le passage des Hautes-Formes, ils ont tous deux échappé au début des années 1980 à une destruction programmée, et sont maintenant protégés. Comme souvent dans le XIIIe, charme de province paisible et contrastes ancien / moderne sont au rendez-vous.






"Le Sniper habitait dans le coin. Ça, il le sentait.
Un coin… intéressant. Compliqué, certes, parce que ce mélange de taudis et d'immeubles hyper-modernes, ces migrants et ces cadres, ça formait un cocktail bizarre.
Mais indéniablement intéressant.
Il songea, le cœur léger, qu'il allait lui falloir beaucoup lire et beaucoup se balader avant de bien connaître le XIIIe arrondissement. 
Justement, deux choses qu'il aimait."

Frédéric H. Fajardie, Sniper

* * *

En rentrant par la Butte-aux-Cailles, on croisera un poète...


... un autre charmant passage endormi, le passage Boiton ...


... encore des glycines, ici dans le passage du Moulinet...


... et, rue du Moulin-des-Prés, Michel et Patricia s'embrassant pour l'éternité comme dans la rue Xavier Privas.


9 commentaires:

  1. l'Anonyme erratique de ce blogue9 mai 2018 à 01:05

    Merci pour cette très belle promenade à la recherche d'un lieu fantôme.
    On a envie de refaire le chemin sur vos pas, le plus tôt possible…

    "Des gens marchent dans les rues. Il semble aujourd'hui que rien ne les guide qui n'appartienne aux nécessités de leurs emplois ou de leur alimentation. (…) Il arrive au contraire que les uns et les autres s'aventurent dans telle ou telle rue, comme s'ils étaient guidés par un fil invisible qui n'a aucun rapport avec l'utilité ni même avec la vie. (…) c'est proprement notre grand mobile que cette curiosité et cette confiance qui mènent nos pas dans des rues où nous ne trouverons rien de plus qu'ailleurs, mais où nous avons voulu suivre l'inoubliable fil invisible."

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    1. Merci, cher Anonyme erratique, pour ce magnifique extrait, qui me donne envie de lire André Dhôtel. Fil invisible et lieux fantômes, oui, c'est un très joli programme !

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  2. Merci pour ce billet chère Florence ! Mes promenades du moment sont plutôt dans le XIVe, déménagement oblige, mais le XIIIe reste cher à mon coeur. Il faudra que je vous déniche un exemplaire de "La perdition de la Bièvre" d'Adrien Mithouard, mélancolique évocation de la rivière perdue.

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    1. Merci, cher Matthieu ! Je ne connais pas ce livre (quel beau titre!), mais je viens de voir qu'il était en effet difficile à trouver.
      Bonnes balades dans le XIVe, qui recèle aussi pas mal de trésors...

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  3. Avez vous lu le Burma "nioulouque" par ce cher JL ?

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  4. Vous pourrez lire cette nostalgique "perdition" ici : http://www.belindacarter.fr/P13/page4.php?titre=mithouard1
    Joli petit texte.

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    1. l’Anonyme nostalgique de ce blogue10 mai 2018 à 02:17

      Merci pour ce texte que je ne connaissais pas. Huysmans aussi a écrit un texte pittoresque sur la Bièvre, que l'on peut lire en ligne ici:
      http://www.bmlisieux.com/archives/bievre.htm

      La Bièvre occultée joue un rôle (mineur, métaphorique, mais non négligeable) dans un joli film trop peu connu, à la fois fiction détective et rêverie sur la peinture de Watteau: Ce que mes yeux ont vu, de Laurent de Bartillat.

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    2. Merci à vous pour ces textes, fort pittoresques en effet ! Il étonnant de voir qu'ils utilisent tous les deux pour décrire la Bièvre, ma fantomatique voisine, la même métaphore de la femme perdue, malmenée, exploitée...
      Merci aussi pour la référence du film, qui m'avait échappé à sa sortie.

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