mardi 31 mars 2015

Le jour où...(13)


Le jour où, lors de son trajet sur la ligne 6, feuilletant le petit catalogue de l'exposition qu'elle avait vue récemment, elle s'attardait sur la page représentant le tableau de Godward Absence makes the heart grow fonder qu'elle avait annotée selon la traduction donnée par sa petite-fille oxonienne, le jeune homme assis à côté d'elle lui demanda avec émotion s'il pouvait photographier la page avec son smartphone pour l'envoyer tout de suite à son amie qu'il venait de laisser sur un quai de la gare Montparnasse.


"L'absence n'est-elle pas, pour qui aime, la plus certaine, la plus efficace, la plus vivace, la plus indestructible, la plus fidèle des présences ?"
Marcel Proust, La confession d'une jeune fille, in Les Plaisirs et les Jours 

samedi 28 mars 2015

Or, noir, et bleu



Après que tu as fait dans quelque lieu d'espoir
Cette belle moisson de mots d'or et de noir
Que les larmes de sang - celles de Roy Batty ?
De ces funestes mars ont épousé la pluie
Marcher dans Paris
Marcher dans le soir
Marcher dans le bleu
Going home





lundi 16 mars 2015

Derniers, dernières



Soixante ans aujourd'hui que Nicolas de Staël a rejoint les étoiles. Le Concert (ou Le Grand Concert ; L'Orchestre), peint en trois jours du 14 au 16 mars et resté inachevé, est son dernier tableau.

* * *

Ce 16 mars, il écrit deux dernières lettres.

L'une à son marchand Jacques Dubourg :
Jacques,
J'ai commandé chez un petit menuisier ébéniste près des remparts deux chaises longues en bois dont j'ai payé une, cela pour Ménerbes.
Au soin de la douane il reste toujours, les papiers sont à la compagnie générale qui transporta mes tableaux la dernière fois, tous les papiers concernant des petites chaises et tabourets que j'ai achetés en Espagne, aussi pour Ménerbes.
Je n'ai pas la force de parachever mes tableaux.
Merci pour tout ce que vous avez fait pour moi.
De tout cœur.
Nicolas

L'autre à son ami Jean Bauret :
Cher Jean, 
Si vous avez le temps, voulez-vous au cas où l'on organise quelque exposition que ce soit de mes tableaux, dire ce qu'il faut faire pour qu'on les voie ?
Merci pour tout.
Nicolas

* * * 

C'est de mai 1954, soit un peu moins d'un an auparavant, que date sa dernière lettre à René Char, où il évoque en filigrane son dernier amour, sa passion ardente, violente, désespérée, fatale pour Jeanne :

Bonjour vieux frère,
Donne-moi des nouvelles de ta santé, tant que tu es à Paris je suis inquiet. Tout le monde va bien ici, sauf Urbain qui m'a envoyé un ultimatum d'apothicaire. Il pleut tous les jours. On se reverra à l'Isle avec autant d'eau que la dernière fois, séparés de notre reine par le déluge.
Il y a des femmes qui ne se montrent que tels les astres, seuls avec tout le firmament intime au ciel.
Je l'aime à crever.
t'embrasse bien fort.
Nicolas.

* * * 

Derniers lieux :

Antibes, sur les remparts, la maison Ardouin

vendredi 13 mars 2015

Jeudi 13

Autoportrait avec Andrea Camilleri, à la belle exposition
L'Italie de Bernard Plossu, Maison Européenne de la Photographie


En 2003, le 13 mars était un jeudi.
Spéciale dédicace à mon papa, parti en un jour de presque printemps. Il adorait, entre autres, l'Italie et Louis Armstrong.

Villa Adriana, Rome

"Il regardait les étoiles, attiré pour la première fois par la spéculation difficile d'imaginer les différences dans le temps que comportait leur scintillation simultanée. Il pensa que la brise du Pacifique devait être douce à quatre heures de l'après-midi, après la traversée torride du désert des Mohaves. Puis, sans rapport et sans qu'il sût par quelle saute d'idée, il se rappela ce qu'on lui avait dit ou qu'il avait lu, qu'il y avait des étoiles mortes dont on continuait et dont on continuerait longtemps à recevoir la lumière."
Marcel Thiry, Distances, dans Nouvelles du grand possible



mercredi 11 mars 2015

Le jour où...(12)



Le jour où, sur ce quai de gare, j'ai vu André Dussollier, je lui ai souri, il m'a souri.
Et bien sûr, je me suis prise à rêver. L'espace d'un instant, serais-je Béatrice Romand ? Sabine Azéma ? Fanny Ardant ? Emmanuelle Béart ? Bernadette Lafont ? Agnès Jaoui ?
Oh oh, vertige de l'amour...

mardi 10 mars 2015

Toujours des mots



"Il y a cette pluie qui tombe sans répit.
Installée bien au chaud derrière ma fenêtre, je trinque avec un homme qui prend l'eau. Ses mots que je n'entends pas se mêlent aux gouttes glacées qui tombent du ciel, glissent sur le trottoir luisant et s'en vont se perdre sur l'asphalte poli par le passage de pieds et de roues anonymes.
C'est un gâchis.
Quelles que soient ces paroles. Amères ou joviales, peu importe, peut-on ainsi les condamner à se dissoudre corps et âme dans un vulgaire caniveau, à couler vers leur propre anéantissement...
C'est injuste mais comment faire.
Après tout.
C'est peut-être très simple."


"Cela dit, gêne ou pas, Edmé a parlé cette nuit. Moi aussi, très vite soûle de mots autant que de vin, de mots dits et de mots écoutés, tant de paroles alors que depuis si longtemps je vivais en silence. Depuis combien de temps n'avais-je pas parlé ainsi, n'avais-je pas évoqué toutes ces choses murmurées à mes plantes jour après jour. Regarder Edmé dans les yeux et parler, et lui, attentif, tranquillement, sans jamais m'interrompre, avant de prendre parfois également son élan pour raconter un fragment de sa propre personne, de sa vie ou de l'une de celles qu'il croise chaque jour.
Cette nuit mon salon s'est empli de voix et de rires, tout ici en était éclaboussé, je sens encore leur présence, incongrue en ce lieu et pourtant nul n'a songé à s'en offusquer."


"Edmé parle de poésie, il récite quantité de sonnets, odes ou romances sans peine et sans grandiloquence, avec l'air de présenter de vieux amis, "et nos rêves sont d'azur" dit-il, et d'emblée à l'écouter on se perd en de lointains horizons, où la lune est rouge et brumeuse, pour après en garder des bribes, et un peu de chaleur.
Angélique d'un coup se sent quelque peu pitoyable. Elle a beau faire, en elle les poèmes ne tiennent pas, ils s'évaporent. En creusant bien on ne pourrait dénicher au fond de sa mémoire que quelques vers de Verlaine, plus deux ou trois fragments ébréchés des Fleurs du mal, rien de plus, misère.
Elle pense à Edmé, à son cortège de rimes et d'images, homme sans maison mais bardé de mots ailés, et elle si nue dans son appartement, si dépourvue de ces béquilles magnifiques. On peut tout affronter quand on a la poésie, elle sait cela mais elle ne sait plus à quel moment elle a laissé la grâce glisser hors d'elle, les mots sont bien partis, un soir d'hiver probablement, et les sillons qu'ils avaient creusés ont fini par se combler, peu à peu, le temps efface, et ne laisse que d'infimes traces de ce qui a été."


"Les mots nous protègent du vide, c'est un fait."

Nathalie Peyrebonne, La silhouette, c'est peu

* * *

Nous sommes les Ingénues
Aux bandeaux plats, à l'oeil bleu,
Qui vivons, presque inconnues,
Dans les romans qu'on lit peu. 

Nous allons entrelacées,
Et le jour n'est pas plus pur
Que le fond de nos pensées,
Et nos rêves sont d'azur ; 

Et nous courons par les prés
Et rions et babillons
Des aubes jusqu'aux vesprées,
Et chassons aux papillons ; 

Et des chapeaux de bergères
Défendent notre fraîcheur
Et nos robes - si légères -
Sont d'une extrême blancheur ; 

Les Richelieux, les Caussades
Et les chevaliers Faublas
Nous prodiguent les oeillades,
Les saluts et les "hélas !" 

Mais en vain, et leurs mimiques
Se viennent casser le nez
Devant les plis ironiques
De nos jupons détournés ; 

Et notre candeur se raille
Des imaginations
De ces raseurs de muraille,
Bien que parfois nous sentions 

Battre nos coeurs sous nos mantes
À des pensers clandestins,
En nous sachant les amantes
Futures des libertins.

Paul Verlaine, La Chanson des ingénues (Poèmes saturniens)

dimanche 8 mars 2015

Encore des mots



"Paroles, paroles, paroles, comme disait la chanson que chantait autrefois Mina."
Andrea Camilleri, La Chasse au trésor