samedi 29 mars 2014

Aurore


Sur le plateau de Valensole

« Aurore était tombée à la renverse. Elle s’était tiré un coup de fusil dans la bouche. Elle n’était plus une femme. Avec ses éclaboussures de cervelle et de sang rayonnantes autour d’elle, elle éclairait l’herbe et le monde comme un terrible soleil. »

Jean Giono, Que ma joie demeure 

Je me prends à rêver que cette pierre est la trace que le corps et l'âme d'Aurore ont laissée dans l'herbe du plateau Grémone.

mardi 25 mars 2014

Et lorsque l'Italie a épousé l'Escaut


"La mer du Nord en hiver
Sortait ses éléphants gris vert
Des Adamo passaient bien couverts
Donnant à la plage son caractère
Naïf et sincère
Le vent de Belgique
Transportait de la musique
Des flonflons à la française
Des fancy-fairs à la fraise"

Alain Souchon, Le Baiser

dimanche 23 mars 2014

I'll be there

Les Raisins de la colère - John Ford (1940)

Se souvenir de Tom Joad.


"Then I’ll be aroun’in the dark. I'll be ever'where - wherever you look. Wherever they's a fight so hungry people can eat, I'll be there. Wherever they's a cop beatin' up a guy, I'll be there. If Casy knowed, why, I'll be in the way guys yell when they're mad an' - I'll be in the way kids laugh when they're hungry an' they know supper's ready. An' when our folks eat the stuff they raise an' live in the houses they build - why, I'll be there. See?"
John Steinbeck, The Grapes of Wrath (1939)

samedi 22 mars 2014

Conjuguer les cartes postales, plaisir du temps


"Et tout faisait carte postale". La formule était magnifique à l'imparfait, qui se révélait décidément le temps des cartes postales. "Je retrouvais la plage, je mangeais une glace et j'étais heureux avec la mer" ; "La montagne était belle, le soleil tiède, la neige mouillée, et je pensais à toi" ; "Nous roulions vers le sud, l'automne rougissait de bonheur et la terre nous racontait des histoires."
"Et tout faisait carte postale". Cette perfection de l'imparfait. Cela dit, ruminait-il dans les profondeurs de son rêve, le passé simple pouvait lui aussi faire son petit effet : "Et tout fit carte postale". On pouvait également oser le présent du subjonctif : "Et que tout fasse carte postale." Ou le conditionnel présent. "Et tout ferait carte postale". Pas mal, le conditionnel. Ainsi la carte postale laissait-elle entendre à son destinataire qu'il manquait quelqu'un : lui. "Nous roulerions vers le sud, l'automne rougirait de bonheur et la terre nous raconterait des histoires."

Sébastien Lapaque, "Théorie de la carte postale"

lundi 17 mars 2014

Une carte postale de Ravenne

Fons vitae - Ravenne, Mausolée de Galla Placidia

René Char
5 rue Jules-Chaplain
Paris VIe

Si tu peux imaginer ce que cela pouvait être à travers les vitraux colorés.
Ce n'est pas seulement passionnant, cela touche au délire.

A toi de plein cœur.

Nicolas
* * *

Je ne sais pas ce qui figurait au verso de cette carte postale adressée de Ravenne le 14 février 1953 par Nicolas de Staël à René Char. Mais compte tenu des deux phrases du recto, très certainement une photo des mosaïques de la basilique Saint-Vital ou du Mausolée de Galla Placidia - dont il est dit dans le recueil de correspondance entre René Char et Nicolas de Staël déjà évoqué ici que ce dernier conserva une carte. Donc pourquoi pas ce détail bleu ? Il me plaît de l'imaginer. Comme de Staël demande à son ami d'imaginer. Et en quelques mots surgissent l'art, la couleur, la beauté, la passion, l'amitié. Comme l'écrit Sébastien Lapaque dans sa délicieuse Théorie de la carte postale.

"La carte postale, c'étaient donc les mots alliés avec la vie. Dans l'empire de la marchandise, c'étaient l'amour et l'amitié tracés en belles lettres avec la main ; le bonheur et la beauté racontés avec de l'encre et du papier. C'était mieux qu'un objet vivant, c'était de la matière organique. Les limiers de la police scientifique, à qui tous leurs instruments électroniques permettaient de recenser le patrimoine génétique de l'expéditeur, en portaient témoignage. Malgré toutes les préventions de notre monde de perfection hygiénique, destructeur de boîtes aux lettres et dévoreur d'enfance, une carte postale, c'était aussi de la sueur et des larmes. Au recto, on ne reconnaissait pas simplement les pleins et les déliés d'une belle écriture, on retrouvait le tremblement d'une main, l'émotion au bout des doigts, la peur, les délices, l'espérance, la folie - vivants, bien vivants. Et il y avait le timbre, le timbre collé avec de la salive, dépositaire du souffle de l'expéditeur.
Comme un baiser."

Ménerbes - 1953

samedi 15 mars 2014

42 boulevard du Temple


"Cela me fait de la peine de quitter le boulevard du Temple, où je laisse des souvenirs très doux."
Gustave Flaubert, lettre à sa nièce Caroline, 8 septembre 1869

* * *

"Ces dimanches passés au boulevard du Temple, chez Flaubert, sauvent de l'ennui du dimanche. Ce sont des causeries qui sautent de sommet en sommet, remontent aux origines du paganisme, aux sources des dieux, fouillent les religions, vont des idées aux hommes, des légendes orientales au lyrisme d'Hugo, de Bouddha à Goethe. On feuillette du souvenir les chefs-d'oeuvre, on se perd dans les horizons du passé, on parle, on pense tout haut, on rêve aux choses ensevelies, on retrouve et on tire de sa mémoire des citations, des fragments, des morceaux de poètes pareils à des membres de dieux !
Puis de là, on s'enfonce dans tous les mystères des sens, dans l'inconnu et l'abîme des goûts bizarres, des tempéraments monstrueux. Les fantaisies, les caprices, les folies de l'amour charnel sont creusés, analysés, étudiés, spécifiés. On philosophe sur Sade, on théorise sur Tardieu. L'amour est déshabillé, retourné : on dirait les passions passées au spéculum. On jette enfin dans ces entretiens - véritables cours d'amour du XIXe siècle -, les matériaux d'un livre qu'on n'écrira jamais et qui serait pourtant un beau livre : l'Histoire naturelle de l'amour."
Edmond et Jules de Goncourt, Journal, 4 mai 1862

jeudi 13 mars 2014

13 mars


Onze ans aujourd'hui que.

La générosité, la tolérance, l’ouverture d'esprit, l'exigence envers soi.
La foi inébranlable en l'Ecole de la République.
Le goût des voyages.
L'amour des livres.
L'amour de l'Italie.
Cher Papa Nous nous sommes tant aimés Mes chers amis Pain et chocolat La plus belle soirée de ma vie L'argent de la vieille (on s'était même mis, après avoir vu le film, au Gaumont de la rue de la République, à jouer au Scopone scientifico !) Parfum de femme Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon
Louis Armstrong, Fats Domino, les chansons napolitaines.
Bella ciao

Se souvenir, remercier, continuer, transmettre à mon tour.

 * * *

On dit qu'il y fait toujours beau 
C'est là que migrent les oiseaux 
On dit ça de l'autre bout du monde.

J'avance seule dans le brouillard
C'est décidé, ça y est je pars
Je m'en vais à l'autre bout du monde. 

J'arrive sur les berges d'une rivière,
Une voix m'appelle, puis se perd
C'est ta voix, à l'autre bout du monde. 

Ta voix qui me dit, mon trésor 
Tout ce temps, je n'étais pas mort
Je vivais à l'autre l'autre bout du monde.

Sur la rivière, il pleut de l'or 
Entre mes bras, je serre ton corps 
Tu es là, à l'autre bout du monde. 
Je te rejoins, quand je m'endors 
Mais je veux te revoir encore 
Où est-il l'autre bout du monde ?

Emily Loizeau

mardi 11 mars 2014

Gustave, Jean-Luc et Hervé - variazioni capresi

Avril 2000

"Je deviens maintenant comme le père Chateaubriand, qui pleurait à tous les enterrements. Le moindre fait me plonge dans des rêveries sans fin. Je m’en vais de pensées en pensées, comme une herbe desséchée sur un fleuve, et qui descend le courant flot à flot.
Non, ne te moque pas de moi de vouloir voir l’Italie. Que les épiciers s’y amusent aussi, tant mieux pour eux. Il y a là-bas de vieux pans de murs, le long desquels je veux aller. J’ai besoin de voir Capri et de regarder couler l’eau du Tibre."
Gustave Flaubert, Lettre à Louis Bouilhet, 19 décembre 1850

Le Mépris (1963) - Villa Malaparte



Jean-Luc Godard (et avant lui Alberto Moravia) et Hervé Vilard racontent en fait à peu près la même histoire. Celle de la fin de l'amour. Même si Capri est dans l'une le lieu où il commence et s'épanouit, dans l'autre celui où il meurt.
La légende familiale (et j'ai tendance à la croire, elle a bonne mémoire) veut que lors de l'été 1965, pour me faire rire aux éclats, il suffisait de se pencher sur mon landau et de me dire "Capri, c'est fini !". Cruelle enfant, tout de même. Ou plutôt ignorante, mais on me pardonnera certainement de ne pas avoir su, à quatre ou cinq mois, ce qu'était un chagrin d'amour...

vendredi 7 mars 2014

IRGR

Glissements progressifs du plaisir - 1974

Yves Klein - 1960

Anthropométrie de l'époque bleue (ANT 82) - 1960

samedi 1 mars 2014

Biches (3) - Une chasse à courre en bleu


« Plaisir profond : "Les Biches", c'est du Chabrol du tonnerre de Dieu. C'est qu'on ne sait pas toujours, avec les films de Chabrol, ce qui nous attend : le champagne grande cuvée ou le sirop menthe. Avec "Les Biches", nous avons un Veuve Cliquot dont le millésime restera dans les mémoires.
La raison de cette réussite : "Les Biches", cela saute aux yeux, est un film auquel tient Chabrol. S'il y tient, c'est parce que, comme disent les gens, il s'y est exprimé. Il dit, dans ces "Biches", ce qu'il a envie de dire et comme il a envie de le dire. Au vrai, il y répète ce qu'il n'a pas cessé de grommeler avec plus ou moins de bonheur et de conviction depuis qu'il fait des films : l'époque est bête ; le monde déborde d'une sottise asphyxiante. "Sus à l'érotisme ! Sus à la violence !" brament les hypocrites de tout poil et les coincés de la braguette.
C'est se tromper d'ennemi, dit Chabrol, l'ennemi c'est la connerie puisqu'il faut l'appeler par son nom ; la voilà, la peste des temps modernes, et c'est contre cette peste-là que moi, Chabrol, je mène ma petite croisade sanitaire. Ma croisade à moi. En vérité, je vous le dis, la connerie devient criminelle, elle est, beaucoup plus que l'oisiveté, la mère de tous les vices, lorsqu'elle s'arme du fric. [...]

A Hitchcock on pense à plusieurs reprises [...]. Pas une bavure dans le montage assené sec, que j'appellerai montage en tessons de bouteille - aigu, tranchant, net, blessant - et qui se trouve en étroit accord avec l'excellent dialogue de Gégauff, lui aussi assené sec paf ! paf ! comme des paires de claques. Et en union avec une direction d'acteurs du type vachard : très bon Jean-Louis Trintignant en homme-objet, émouvante Jacqueline Sassard, et surtout une Stéphane Audran au sommet de sa forme, froide et brûlante, drôle et tragique, méchante et bouffonne, cuirassée et pourtant écorchée vive, métallique et vulnérable - admirable.

Avec "Les Biches", Chabrol administre la preuve de sa virtuosité technique. C'est le cinéma de A à Z, dans les plus belles couleurs qui soient. Bleu de nuit, bleu des purs azurs, bleu de la petite fleur du mal, azur de la Côte : "Les Biches" c'est une chasse à courre en bleu.»

Jean-Louis Bory (Le Nouvel Observateur, 20 mars 1968, repris dans La nuit complice)


« Dans Les Biches, le Sud en hiver est câlin et poignant comme une chanson de Nino Ferrer. Les parties de poker servent de défouloir à des bourgeois riches en bêtises :
"Il nous a emmenés chasser au Mozambique hors saison : vraiment n'importe quoi !"
Deux clowns font beaucoup de bruit : Robègue et Riais. Ils épatent la galerie, s'initient à la musique dodécaphonique, s'improvisent fous de deux reines à la couronne fragile : Jacqueline Sassard et Stéphane Audran. Jean-Louis Trintignant hésite entre les deux, goûte l'érotisme de chacune. A la fin, par-delà le drame, ne reste que Jacqueline.
Elle dessine à la craie sur le pont des Arts, est enlevée d'un sourire par Stéphane Audran.
Elle se love dans l'eau chaude d'un bain, sa jambe émergeant de la mousse, ses pieds s'amusant avec le robinet.
Elle accepte les mains de Stéphane Audran sous son chemisier vert, des mains qui défont ensuite les boutons de son pantalon.
Elle traîne au lit, s'allonge au bord de la mer, infuse le blues d'uns saison qui ressemble à un été indien.
Elle découvre la petite mort, ne veut pas qu'on l'embrasse, cède du bout des lèvres.
Elle mêle ses doigts aux doigts des hommes, des femmes.
Elle marche pieds nus sur les terrasses, reste au seuil des étreintes.
Elle se caresse dans la pénombre. Elle jouit par procuration de la jouissance de Stéphane Audran, de son visage, de son dos griffé, de des jambes enlancées.
Elle pleure. Elle tue. Elle apparaît pour la dernière fois sur un écran, s'enfermant par la suite dans les bras de Gianni Lancia, ancien pilote et héritier de la dynastie automobile. »
Arnaud Le Guern, Paul Gégauff- Une âme damnée