jeudi 30 janvier 2014

Le soleil lui trace la route



"Maurice m'a ouverte à la vie, il m'a fait découvrir mon métier, et une façon d'exister. [...] A nos amours reste le plus beau cadeau de ma vie. Pialat m'a appris à prendre le vent ! Maurice est ma bonne étoile."

"Pialat trimballait une sorte de mal-être en permanence. [...] A la fin, lorsque le père surprend la famille au cours du dîner, c'est le personnage du père, mais c'est aussi Maurice qui s'exprime lorsqu'il dit : "La tristesse durera toujours". Cette mélancolie faisait partie de son quotidien, Maurice était hanté par elle."


"Dans ce film (Sous le soleil de Satan), il questionnait aussi la notion d'existence. Pourquoi est-on là ? Que fait-on dans ce monde ? Est-ce qu'on sait être utile ? Ce sentiment d'utilité était capital pour lui. Il ne cessait de dire : "J'ai fait tous ces films, mais à quoi ça sert un film ?" Il s'interrogeait sur sa vocation ratée de peintre aussi. D'ailleurs, le suicide de Mouchette est effrayant, se couper la carotide, ce n'est pas rien. Comment peut-on en arriver à se dire : "je suis très jeune, mais je me tue" ? La part sombre de Pialat, sa force de démolition le pousse à être dans un double discours. Il reconnaît le talent et le succès d'un Truffaut qu'il désirait pour lui-même, et à la fois il ne parvenait pas à rentrer dans le moule du metteur en scène reconnu, il se cognait aux limites. Il cherchait sa place, sans cesse. Même s'il se savait respecté, il était envieux de la reconnaissance des autres, et en même temps il détestait faire l'unanimité. Trop d'admiration, trop d'amour, trop de popularité, c'est suspect."


"Avec mon père, nous adorions les westerns et nous ne manquions sous aucun prétexte les comédies avec Louis de Funès ou les films avec Lino Ventura. Ah, Lino, mon acteur préféré ! On regardait les classiques du Ciné-club en noir et blanc. Je me souviens aussi d'un cycle François Truffaut ; La Femme d'à côté avec Fanny Ardant et Depardieu m'avait bouleversée. J'étais aller me cacher dans les toilettes pour pleurer."


mardi 28 janvier 2014

"Distraire mon entourage"


Château en Suède, Roger Vadim,1963

"J'entamai ma carrière théâtrale pour la raison la plus naturelle et la plus modeste qui soit : distraire mon entourage. J'avais loué une charmante maison cet-hiver là, à soixante kilomètres de Paris, pour y traverser une de mes périodes anti-frivolité : foin de la vie parisienne, foin des night-clubs, du whisky, des aventures, de la nouba. Vive la lecture, les feux de bois, la grande musique et les discussions philosophiques. A intervalles réguliers, ces crises sont toujours venues et viennent toujours secouer ma vie, ou plutôt en ralentir provisoirement les secousses. Celle-là s'était produite pendant la rédaction de mon troisième livre, et fort égoïstement, je m'étais enfouie avec mes personnages dans ses dernières pages, je n'avais pas vu tomber les dernières feuilles de l'automne, ni même la neige. Je n'avais pas vu s'écourter les jours ni s'allonger le visage de mes amis. Quand je repris connaissance, si je peux dire, après le mot "Fin" de Dans un mois, dans un an, je ne vis autour de moi que dépressions nerveuses, chagrins d'amour, désordres mystiques et autres désagréments propres à tous les âges de la vie, mais spécialement réservés aux citadins exilés à la campagne. La vue d'un papier et d'une plume stimulant encore ma main et mon cerveau, j'écrivis la scène 1 de l'Acte I d'une pièce de théâtre, et commençai ainsi un dialogue entre un frère et une sœur, coincés par l'hiver dans un château en Suède. J’espérais sans doute confusément que la comparaison entre ce destin et le leur rendrait quelque optimisme à mes amis. En tous cas, ce début d'acte les fit rire. [...]

Première distribution au Théâtre de l'Atelier, 1960
La suite tient du hasard. Jacques Brenner, qui dirigeait le cahier des saisons, me demanda un texte inédit un an plus tard, et par pure paresse je lui envoyai ve que j'avais sous la main, c'est-à-dire le début de cet acte suédois. Il en publia les quelques pages dans sa revue et André Barsacq, qui dirigeait alors le Théâtre de l'Atelier, tomba dessus par hasard dans un train. [...]


Bref, j'écrivis Château en Suède, Barsacq le mit en scène, et ce fut un succès. J'allais plusieurs fois aux répétitions, tous les jours d'ailleurs, à la fin, fascinée que j'étais d'entendre mes mots, mes réflexions ou mes répliques dites par des voix humaines. Je voyais naître "Sébastien" dans Claude Rich, "Hugo" chez Philippe Noiret, "Eléonore" chez Françoise Brion, etc. Je regardais, émerveillée, ces gens que je ne connaissais pas, qui ne me devaient rien, et qui, pour moi, se pliaient aux caprices de mon imagination : je leur en avais une grande gratitude."

Françoise Sagan, Avec mon meilleur souvenir

Janvier 2014

mercredi 22 janvier 2014

Promenades (3)



Pour dériver sur les boulevards du temps avec Jacques Rozier et Jérôme Leroy, c'est ici, "Et puis le bonheur d'être au monde..."

Et comme il n'y a pas de hasard, je n'ai finalement pas été étonnée que la rue que traversent Liliane et Juliette soit celle au bout de laquelle se trouve, on en aperçoit l'entrée au fond, le Passage Choiseul, enfin, le Passage des Bérésinas.

mardi 21 janvier 2014

Le poids d'un rais de soleil


"On sait jamais le poids d'un rais de soleil. Tous les matins - je parle de dans le temps - tous les matins le soleil sortait. En face de lui, il y avait le plateau. Tous les matins, le soleil jetait là-dessus son premier rayon. Ça n'était pas de méchanceté ; c'était pour jouer. Tu n'as jamais vu ce premier rayon, si ? Eh bien alors tu sauras si ce que je dis est vrai. On l'attend, on le prévoit ; il monte. On dit : le voilà. Il est parti, il a tapé quelque part. Généralement, après on regarde le reste du lever du soleil. Mais si on guette ce que j'ai guetté, on ferme tout de suite les yeux et on écoute. Alors, on entend une chose sourde qui roule comme une source de tombereau et c'est le bruit du rayon qui a frappé sur la terre, ou bien une esclapade d'eau, et c'est qu'il est tombé dans quelque mer, ou bien alors un sifflement long, long, long, et qui s'éloigne, et c'est que le rayon a frappé en plein ciel. Là, alors, d'habitude, ça a fait un trou et on peut s'attendre à du vent dans l'après-midi. Donc, c'est pour te dire la force de ce premier rayon."
Jean Giono, Manosque-des-Plateaux

samedi 18 janvier 2014

Transes


"Le sujet réel de Trans-Europ-Express est moins l'aventure elle-même que l'imagination créatrice en train d'inventer cette aventure, de l'inventer peu à peu et de la remettre en question à tout moment. (...) Le film constitue, dans son ensemble comme à une échelle plus réduite dans chacune de ses parties, une "réflexion" sur l'invention, la mise en scène et le jeu, cette réflexion ayant souvent un caractère d'interrogation, d'hypothèse, de doute, de contestation interne."
Alain Robbe-Grillet


"Robbe-Grillet est un prestidigitateur d’une astuce diabolique. Beau parleur, il multiplie les gestes envoûtants. Grâce à un montage d’une virtuosité plutôt soufflante, il nous hypnotise. Pendant ce temps-là, il nous fait les poches – je veux dire qu’il nous dépouille de notre raison raisonnable pour enrichir notre "raison" imaginative. Et mine de rien, il nous ramène à notre point de départ". Gros-Jean comme devant si nous n'avons pas voulu jouer. Bien heureux si nous avons "marché". L'hésitation ne me paraît pas recommandable."
Jean-Louis Bory (Le Nouvel Observateur, 25 janvier 1967, repris dans La nuit complice)

mercredi 15 janvier 2014

Encore et encore

Celle affiche-là aussi a décoré les murs d'une certaine chambre...

Cette nuit, c'est la pleine lune. Peut-être que, comme Pascale Ogier et László Szabó, on ne dormira pas. Et qu'on se souviendra encore et encore d'Eric Rohmer, qu'on regardera encore et encore un des films fétiches de la jeune fille des années 80 qu'on a été, qu'on écoutera encore et encore Elli et Jacno enchanter les nuits de Paris. 

samedi 11 janvier 2014

L'heure bleue qu'il ne verra plus



« - Tu connais l’heure bleue ?
- L’heure bleue ?
- En fait, ce n’est pas une heure, mais une minute. Juste avant l’aube, il y a une minute de silence. Les oiseaux de jour ne sont pas encore réveillés, et les oiseaux de nuit sont déjà couchés. Et là… là c’est le silence. […] C’est difficile de donner une idée à quelqu’un qui ne l’a pas vécu… Mais en fait, le silence dans la nature, ça fait peur. Tiens, c’est un peu comme dans un tribunal, quand le jury délibère, et qu’on attend la sentence... Ou c’est la vie, ou c’est la mort. S’il y avait un jour la fin du monde, je suis sûre que ça serait à cette minute-là. »
 
Eric Rohmer, quatre ans déjà. C'est avec Reinette et Mirabelle, et aussi Marie et Françoise qu'on a envie de s'en souvenir aujourd'hui. Toutes célèbrent l'heure bleue, que ce soit celle du matin ou bien celle du soir, qu'elle représente l'instant rare et magique du silence absolu de la nature, le paradis perdu ou bien les moments délicieux où l'on attend son amoureux. Chacune à leur façon, grave, triste, ou délicatement enjouée.

"Majorette au teint de Lune
Fait danser ses sabres devant moi.
Comme une plainte souterraine
L'écho de l'heure bleue que je ne verrai plus."

Marie Modiano, 28 Enfers
 


Et si l'heure bleue était justement celle du rêve, celle de tous les possibles, celle d'un monde où ceux qu'on aime et qu'on admire, comme le grand Eric Rohmer, seraient toujours là.

"Rendez-vous au bord du lac
Au lever du soleil
Tu trouveras ceux que tu as perdus"
Patrick Modiano, 28 Paradis

31 décembre 2013 - Un peu avant l'heure bleue du soir

mercredi 8 janvier 2014

Comme toutes les épouses non charnelles mais passionnelles


"Rome, octobre 1967

Cher Jean-Luc Godard,

Merci de votre lettre, et merci également de la part de Ninetto.

Concernant l’agression téléphonique de mon épouse non charnelle, je comprends qu’elle vous ait traumatisé : mais je tiens à préciser que je n’ai pas prêté la moindre foi aux journalistes, car je les connais trop bien, et il s’est donc agi pour moi d’une affaire sans importance. Imprécise comme toutes les épouses non charnelles mais passionnelles, Mme Betti vous a également fourni des explications inexactes sur le succès d’Œdipe roi en Italie, où il marche au contraire très bien, comme aucun de mes films jusqu’à maintenant.

La Chinoise est un très beau film ; c’est l’œuvre d’un saint, appartenant peut-être à une religion discutable et perverse, mais en tout cas à une religion.

Quant à Mme Parolini, je ferai tout mon possible pour qu’elle soit la photographe de Théorème (jusqu’à présent, j’ai toujours eu de très mauvais directeurs de la photographie).

Je ne connais pas encore les dates de tournage de Théorème, et je ne peux donc rien vous dire pour Anne : mais je choisirai mes dates en fonction des siennes (et il en ira de même pour J.-P. Léaud).

La chose la plus importante, pour le moment, est votre présence ici le 20 octobre (il faudrait donc que vous arriviez le 19 au plus tard). C’est moi en effet qui m’occuperai du générique de début de Vangelo 70, et j’ai pensé le faire sous la forme d’une réunion, dans une salle de télévision (avec un grand Christ en croix, sacrilège, sur la table), des metteurs en scène du film ; chacun devrait dire à voix haute le générique de son épisode, après une très courte introduction explicative (pourquoi le père du fils prodigue est-il le Parti communiste ? etc.).

Le 20 octobre est la seule date où nous sommes tous libres. Il faudrait donc que vous fassiez tous vos efforts pour être à Rome ce jour-là.

Je vous envoie mes salutations et mes vœux les plus affectueux pour Week-end. Bien à vous,

[Pier Paolo Pasolini]"

Théorème - 1968
Porcherie - 1969

samedi 4 janvier 2014

Solitude (3)


"Sur le bas-côté ensoleillé dans le silence
habituel de la blanche campagne
je me berce d'une solitude mortelle
dans le mortel matin, qui depuis toujours
blanchit de sa lumière l'intense campagne.
Mais sous cette lumière monotone (où je rêve)
souffle un filet de vent, et l'or s'enflamme
dans les frondaisons des frênes lointains.
J'attends ? Nulle chose
dans cet espace ouvert auquel je fais face
ce vaste désert, cette lumière hors de moi,
rien que mon rêve jusqu'à l'horizon,
pas au-delà... Tout est muet.
Un enfant crie, je rêve ?, crie ou chante
il crie dans la muette campagne, je suis vivant,
un enfant crie."


"A force d'y penser, j'ai eu l'impression de comprendre ceci : celui qui s'enfuyait à pied, traqué, c'était Pier Paolo Pasolini le poète ; celui ou ceux qui le poursuivaient, quels qu'ils fussent, n'avaient pas de visage, car ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient et ils ne savaient pas non plus qui était Pasolini."
"Nous avons perdu, avant tout, un poète. Et il n'y a pas beaucoup de poètes de par le monde, il en naît seulement trois ou quatre par siècle. Lorsque ce siècle sera fini, Pasolini sera du petit nombre de ceux qui compteront en tant que poètes. Le poète devrait être sacré."
Extraits de l'oraison funèbre prononcée par Alberto Moravia lors des funérailles de Pasolini, le 5 novembre 1975

mercredi 1 janvier 2014

Archéologie


Quand, au hasard d'un déjeuner familial, on retrouve les 45 tours de quand on était petite.