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Le monde est une branloire pérenne :
toutes choses y branlent sans cesse, écrivait Montaigne il y a quelques
siècles, et cette idée d'un monde en mouvement permanent est très belle, mais
Montaigne n'avait pas idée de ce que ça allait devenir, qu'il faudrait
désormais se battre pour retrouver un certain droit au calme, à la solitude, au
repos et à tout ce qui va avec, la lecture, la pensée, la rêverie, mais on n'a
plus le temps."
"C'est étonnant comme, parfois, on se met à vivre plus vite, beaucoup
plus vite, à cause d'un rien, de quelques mots, d'un regard ou d'un air
entendu. Recevoir un message, le lire, se dire pourquoi pas, et hop,
partir.
[...]
Un coup de fil à Kamel qui, oui, bien sûr, s’occupera des enfants, et
la voici sur la route, avec sa vieille voiture grise, son sac sur la
banquette arrière. Boulogne-sur-Mer – Saint-Jean-de-Luz : mille quarante
kilomètres, trajet estimé à neuf heures trente en passant par
Abbeville, Rouen, Le Mans, Tours, Poitiers, Bordeaux et Biarritz. C'est
long, c'est une expédition, on n'en fait plus tellement à une époque où
l'on se rend en un clin d'œil à l'autre bout du globe, à peine le temps
de rentrer dans l'avion et vous voilà sur un autre continent, sans même
avoir pu réaliser que vous voyagiez. On a perdu cela, la durée du
voyage, ce temps hors du temps avec ses temps morts, ses rencontres, ses
rêves. Il faut, pour retrouver ces sensations délectables, savoir aller
un peu moins loin, bizarrement, prendre sa voiture et non pas l'avion,
rouler et ne surtout pas voler, le voyage aérien stoppe net bien des
tentatives d'évasion, Icare l'a appris à ses dépens il y a déjà bien
longtemps."
"Il a repris le volant et Lucia s'étonne de la
facilité avec laquelle elle se laisse conduire sans même s'inquiéter de leur
destination. Elle s'en fout, en fait. Elle est bien, là, aux côtés de cet homme
qui est botaniste comme elle est épistolière. Un vieux rêve, ça, d'ailleurs.
Troquer les mails du service clients contre des lettres, des vraies, écrire aux
vieilles dames solitaires nichées dans les grandes villes, écrire aux ados
torturés, écrire aux petits qui croient encore au Père Noël, écrire à ceux qui
disent que c'est triste, de nos jours, le facteur n'apporte plus que des
factures, écrire à ceux qui ont oublié ce que c'est qu'une lettre, écrire sur
du papier bleu, rose ou vert, écrire à l'autre bout du monde ou à la voisine de
palier. Écrire."
"Une cicatrice céleste qui s'atténuera peut-être, au fil du temps.
Ou subsistera.
Les cicatrices disparaissent-elles jamais complètement ?"
* * *
De ruptures de réalité en brèches magnifiques, le dernier roman de Nathalie Peyrebonne est un véritable enchantement. En exergue du livre, cette citation de Claude Roy : « Il faudrait
essayer de ne pas accorder trop de réalité à la réalité. Le monde a
grand besoin que nous doutions un peu de son existence. » Joli
programme, non ?