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Château en Suède, Roger Vadim,1963 |
"J'entamai ma carrière théâtrale pour la raison la plus naturelle et la plus modeste qui soit : distraire mon entourage. J'avais loué une charmante maison cet-hiver là, à soixante kilomètres de Paris, pour y traverser une de mes périodes anti-frivolité : foin de la vie parisienne, foin des night-clubs, du whisky, des aventures, de la nouba. Vive la lecture, les feux de bois, la grande musique et les discussions philosophiques. A intervalles réguliers, ces crises sont toujours venues et viennent toujours secouer ma vie, ou plutôt en ralentir provisoirement les secousses. Celle-là s'était produite pendant la rédaction de mon troisième livre, et fort égoïstement, je m'étais enfouie avec mes personnages dans ses dernières pages, je n'avais pas vu tomber les dernières feuilles de l'automne, ni même la neige. Je n'avais pas vu s'écourter les jours ni s'allonger le visage de mes amis. Quand je repris connaissance, si je peux dire, après le mot "Fin" de
Dans un mois, dans un an, je ne vis autour de moi que dépressions nerveuses, chagrins d'amour, désordres mystiques et autres désagréments propres à tous les âges de la vie, mais spécialement réservés aux citadins exilés à la campagne. La vue d'un papier et d'une plume stimulant encore ma main et mon cerveau, j'écrivis la scène 1 de l'Acte I d'une pièce de théâtre, et commençai ainsi un dialogue entre un frère et une sœur, coincés par l'hiver dans un château en Suède. J’espérais sans doute confusément que la comparaison entre ce destin et le leur rendrait quelque optimisme à mes amis. En tous cas, ce début d'acte les fit rire. [...]
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Première distribution au Théâtre de l'Atelier, 1960 |
La suite tient du hasard. Jacques Brenner, qui dirigeait le cahier des saisons, me demanda un texte inédit un an plus tard, et par pure paresse je lui envoyai ve que j'avais sous la main, c'est-à-dire le début de cet acte suédois. Il en publia les quelques pages dans sa revue et André Barsacq, qui dirigeait alors le Théâtre de l'Atelier, tomba dessus par hasard dans un train. [...]
Bref, j'écrivis
Château en Suède, Barsacq le mit en scène, et ce fut un succès. J'allais plusieurs fois aux répétitions, tous les jours d'ailleurs, à la fin, fascinée que j'étais d'entendre mes mots, mes réflexions ou mes répliques dites par des voix humaines. Je voyais naître "Sébastien" dans Claude Rich, "Hugo" chez Philippe Noiret, "Eléonore" chez Françoise Brion, etc. Je regardais, émerveillée, ces gens que je ne connaissais pas, qui ne me devaient rien, et qui, pour moi, se pliaient aux caprices de mon imagination : je leur en avais une grande gratitude."
Françoise Sagan,
Avec mon meilleur souvenir
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Janvier 2014 |