jeudi 5 juin 2014

Le voyage à l'envers et les grands fonds équivoques


"Vous savez, je crois avoir finalement arrangé notre voyage à l'envers..."
Ce voyage à l'envers était le titre choisi pour leur escapade, un voyage qui leur ferait sans doute retraverser la Méditerranée et repartir au soleil d'octobre de quelque lointain pays ; comme si la croisière musicale n'eût été qu'un entraînement, comme si, pensait-il, ce bateau, ces barmen blonds, ces mondains, ces gens riches, comme si toute cette musique divine, toutes ces notes phosphorescentes jetées du pont, la nuit, dans cette mer où elles semblaient flotter un instant avant de disparaître, comme si ces paysages, ces odeurs, ces baisers dérobés, cette crainte de perdre ce qu'ils n'avaient pas encore gagné, comme si tout ce voyage avait été conçu et exécuté pour Julien comme le décor personnalisé de leur rencontre.


"Clarisse", dit-il trois ou quatre fois dans l'air de la fin de la nuit, un air blanc et ouaté, un air sans soleil encore. La lumière sur ce pont, à cette heure-ci, était grise, beige, ferreuse et triste. "On aurait pu se croire, se dit Julien, sur un bateau abandonné, sur une épave, dans quelque océan Indien aux grands fonds équivoques."

Françoise Sagan, "La Femme fardée"

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