lundi 19 janvier 2015

Livres en feu - Générique


 
Qu’ils soient cités, promis au bûcher, brûlés, ou incarnés par les hommes-livres, les livres sont les principaux personnages de Fahrenheit 451. Alors comment François Truffaut a-t-il fait son casting ?

« Je voulais éviter de faire un petit catalogue, je ne voulais pas qu'on dise : "Voilà les livres qu'il aime", alors j'ai laissé beaucoup faire le hasard. Et puis, quelquefois, je les ai choisis pour d'autres raisons que le titre. Par exemple, j'ai recherché des vieilles éditions comme Le Livre de demain chez Arthème Fayard, parce que pour beaucoup de gens, c'est une émotion : un livre avec ses bois gravés, tout Colette, tout Cocteau, ça vous rappelle l'avant-guerre. Alors j'ai essayé de retrouver l'équivalent pour les Anglais, les premières éditions Penguin de 1935. Il y a aussi des auteurs que je ne pouvais pas ne pas citer, parce que je les adore, comme Audiberti ou Genet. D'ailleurs, si j'étais parti dans la forêt avec les hommes-livres, j'aurais appris par cœur pour le sauver le roman de Jacques Audiberti qui s'appelle Marie Dubois.

Naturellement, j'ai eu besoin de plusieurs centaines de livres et le hasard des manipulations ou des prises de vue à plusieurs caméras a mis tel ou tel livre en évidence. Donc, la part de choix personnel était mince. Par ailleurs, certains livres ont brûlé mieux que d'autres et se sont révélés plus photogéniques ou même plus adroits à "trouver le créneau", comme on dit des acteurs qui, dans les plans généraux, parviennent le mieux à faire voir leur tête par-dessus les épaules des vedettes. »

François Truffaut (propos tirés de plusieurs entretiens, rapportés sur le site de la Cinémathèque "Truffaut par Truffaut").


Donc pas de catalogue, pas de « bibliothèque idéale », mais un mélange de choix et de hasard...
Par un froid dimanche de janvier, il m’a paru soudain impératif de dresser une liste de ces héros de papier, même si ça ne sert strictement à rien...

Au générique donc, par ordre d’apparition à l’écran :

Les livres brûlés :

Don Quichotte, Cervantès
L’Envoûté, Somerset Maugham
Lewis et Irène, Paul Morand
Othello, Shakespeare
Vanity Fair, Thackeray
Alice au pays des merveilles, et De l’autre côté du miroir, Lewis Carroll
Madame Bovary, Gustave Flaubert
Le Monde à côté, Gyp
My Life in Art, Constantin Stanislavski
Gaspard Hauser
Robinson Crusoé, Daniel Defoe
L’Ethique, Aristote
Mein Kampf, Adolf Hitler (eh oui, le prenant spécialement dans un rayonnage, le capitaine de Montag explique à ce dernier qu’il faut brûler tous les livres)
The world of Salvador Dali, Robert Descharnes (beau livre illustré longuement feuilleté à la faveur du courant d’air créé par les pompiers pyromanes pour attiser le feu)
Interglossa, Lancelot Hogben
Pantagruel et Gargantua, Rabelais
Les Nègres, Jean Genet
My life and loves, Franck Harris
Nadja, André Breton
My autobiography, Charlie Chaplin
Roberte ce soir, Pierre Klossowski
Confession d’un rebelle irlandais, Brendan Behan
The Ginger Man, J.P. Donleavy
Les Cahiers du Cinéma (numéro 103, janvier 1960, avec en couverture Jean Seberg dans A bout de souffle)
Deux Anglaises et le Continent, Pierre-Henri Roché
Balzac et l’argent, Pierre Lachenay (malicieux clin d’œil d’auto-référence de la part de Truffaut, car il s’agit du livre écrit par Pierre Lachenay, personnage principal spécialiste de Balzac dans La Peau douce)
Métaphysique, Aristote
Le Brave Soldat Schweik, Jaroslav Hasek
Une Histoire de la torture
Livre sur Cocteau ou de Cocteau, donc on ne voit pas le titre
Moby Dick, Herman Melville
Lolita, Nabokov
Les Aventures de Tom Sawyer, Mark Twain
Le Procès, Franz Kafka
Marie Dubois, Jacques Audiberti
La Ferme des animaux, George Orwell
Sermons and Soda Water (La fille sur le coffre à bagages), John O’Hara
La Peau de chagrin, Balzac
Dom Juan, Molière
The Mystery of Jack the Ripper, Leonard Matters
Pères et fils, Tourgueniev
Journal du voleur, Jean Genet
Plexus, Henry Miller
Jane Eyre, Charlotte Brontë
Justine ou les Malheurs de la vertu, Sade
Rébus, Paul Gégauff
L’Attrape-cœurs, J.D. Salinger
Les Secrets de la princesse de Cadignan, Balzac
Zazie dans le métro, Raymond Queneau
Journal de l’année de la peste, Daniel Defoe
Les Aventures de Pinocchio, Carlo Collodi
In ze pocket, Walter S. Tavis
Les Frères Karamazov, Dostoïevski
Pas d’orchidées pour Miss Blandish, James Hardley Chase




Les livres incarnés par les hommes-livres dans la scène finale :

Vie de Henri Brulard, Stendhal
La République, Platon
Les Hauts de Hurlevents, Emily Brontë
Le Corsaire, Byron
Alice au Pays des Merveilles, Lewis Carroll
Le Voyage du Pèlerin, John Bunyan
En attendant Godot, Samuel Beckett
Réflexions sur la question juive, Jean-Paul Sartre
Chroniques Martiennes, Ray Bradbury
Les Aventures de Monsieur Pickwick, Charles Dickens
David Copperfield, Charles Dickens (special guest du film, en quelque sorte, puisque c’est le premier roman que Montag dérobe pour le lire en cachette, livre d’initiation donc, et dont il lit des extraits à sa femme Linda et à ses amies consternées)
Le Prince, Machiavel
Orgueil et préjugés, Jane Austen
Histoires extraordinaires, Edgar Allan Poe
Mémoires, Saint-Simon
Le Barrage d’Hermiston, Stevenson

Et aussi :

Marcel Proust, dont on distingue une couverture dans un des brasiers, et qui revient en écho quelques plans plus loin dans la phrase de Montag à sa femme : « Je dois partir à la recherche du temps perdu ».

Sont également cités Nietszche (le capitaine explique à Montag pourquoi il faut spécialement brûler les livres des philosophes), ainsi que Tolstoï, Walt Withman, Faulkner, Schopenhauer...

Sans oublier tous les autres livres, figurants anonymes, dont on ne parvient pas à lire la couverture.




Si François Truffaut avait été un homme-livre, il aurait donc été Marie Dubois (rappelons que c’est en référence à ce roman de Jacques Audiberti que Truffaut a trouvé son nom de scène à son actrice de Tirez sur le pianiste). Quant à moi, j’ai donné un début de réponse ici...

Hommes-livres qui sont l’objet de ce beau quiproquo entre Clarisse et Montag :
Clarisse : Longez la rivière jusqu’à l’ancienne voie ferrée. Suivez-la, et vous trouverez les hommes-livres.
Montag : Les hommes libres ?
Clarisse : Non, les hommes-livres !
(rendu, dans la version anglaise originale, par book people / good people)

7 commentaires:

  1. Superbe post, chère amie. Jusqu'à ce lapsus jamais repéré alors que j'ai passé le film pendant des années à mes troisièmes... Oeil de lynx for ever

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  2. Merci pour cette minutieuse recension, chère Florence, passionnante comme souvent ce qui peut paraître vain !
    Dommage seulement que Truffaut ne soit plus là pour l'apprécier.

    J'ignorais complètement jusqu'ici que "Marie Dubois" était un pseudonyme issu d'Auduberti (à qui Maxime le Forestier rend joliment hommage dans Fontenay-aux-Roses, mais rien à voir).

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    1. Fontenay-aux-Roses, eh oui... Je m'étais d'ailleurs souvent demandé, du temps lointain où comme de nombreuses petites filles de ma génération, j'écoutais ce 33 tours "en boucle", qui était ce Monsieur Audiberti qui avait le pouvoir de faire rêver et troubler les jeunes filles de ce pensionnat...

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  3. Réponses
    1. L'Enfer, là où on brûle les livres, n'est-ce pas...

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  4. À la réflexion, le titre de ce billet nous fait quasi passer de Truffaut à Altman : "My lips are hot !…"

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