lundi 8 mai 2017

La tentation mauve (3)




"La grande cuisine l'impressionnait comme tout le reste de la maison. Elle se rappela le couloir à l'étage, les portes qui ouvraient sur des chambres qu'elle n'avait fait qu’entrevoir, le salon avec ses meubles sombres. Il se dégageait de ces murs quelque chose de solennel et d'abandonné qui à la fois l’attristait et l'exaltait. On avait envie de s'installer dans un coin, de fermer sur soi les portes, les volets, et de lire tous les livres de la bibliothèque. Pendant des jours, des semaines, un mois, peut-être. L'idée qu'à Paris on puisse penser à elle, la regretter, espérer un coup de téléphone, une lettre ou tout autre signe pourvu que ce fût un signe de vie, ne l'effleurait guère. Annie se sentait comme sur une île lointaine. Et sans doute était-ce là le charme principal de Marimé : un lieu par lui-même si puissant qu'il faisait reculer tout ce qui n'était pas lui."

Anne Wiazemsky, Marimé

Histoire de maison, histoire de famille...
Fallait-il vraiment rentrer ?

4 commentaires:

  1. Anne Wiazemsky sur le trottoir du boulevard Saint-Germain, comme isolée, comme à l'écart du monde ; quel fantôme lui fait cortège ? Celui de Robert Bresson, qui la frôle et semble la désirer ? Celui de Jean-Luc Godard, qui la fait monter dans son Alfa Romeo, et déclame des passages entiers du plus ennuyeux des livres, le « Rouge » de ce gros satrape de Mao ? Godard, au moment d'être fusillé par les gardes rouges, aurait-il récité un extrait de « La Confession d'un enfant du siècle », ou se serait-il reconnu coupable des accusations imaginaires dont l'accablaient ses bourreaux ? De Musset à Mauriac, il n'y a pas si grande distance : son « Adolescent d'autrefois » est l'un de mes livres de chevet. Tout Mauriac est à garder, ses chroniques sur la télévision forment un bouquet d'intelligence, ses articles dissimulent mal la cruauté d'un chat, qui se joue d'une souris avant de la croquer.
    Je viens chez vous, et j'y trouve avec un plaisir qui ne se lasse pas ce que vous y placez si talentueusement.

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    1. Merci, cher Patrick. Vous avez quant à vous, décidément, l'art de convoquer de bien exquis fantômes... Du bord du chemin de ces temps révolus, ils agitent la main vers nous et leur autrefois est soudain là. Au plaisir de vos visites.

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  2. Je ne suis pas certain que les domestiques femelles (les "bonnes", disait-on à l'époque) ont vraiment désiré "garder" tout ce que le père François leur a balancé de force entre les cuisses.

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  3. J'avoue ne pas saisir le rapport entre Mauriac et votre père François : Mauriac, jusqu'à présent, n'était pas connu pour « balancer » quoi que ce fût « entre les cuisses des bonnes ». Il eut certes des tentations : elles le portaient plus vers les « bons » que vers les « bonnes ». Mais peut-être convoquez-vous un autre que Mauriac en nommant ce « père François » ? Et puis, je vois mal le chétif Maumau prendre « de force » des bonnes, souvent d'un modèle solide voire athlétique. Leur offrir une paire de bottines jaunes à lacet, à la manière du fétichiste présent dans Le journal d'une femme de chambre, cela est possible, mais les renverser dans la paille ou sur l'herbe, les trousser, puis… Non, vraiment !

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