mardi 29 avril 2014

Rue Bleue


La rue Bleue, située dans le prolongement de la rue de Paradis, s'appelait autrefois la rue d'Enfer. Elle a pris sa couleur en 1789, à la demande de ses habitants, qui pensaient que ce nouveau nom serait facile à retenir en raison de la proximité d'une rue Verte - laquelle, elle, n'existe plus, ayant été absorbée par la rue Roquépine. La rue Bleue demeure je crois, avec la rue Blanche, la seule rue de couleur de Paris.
Voilà pour quelques faits.

Mais, en quittant l'agitation de la rue Lafayette pour la relative quiétude de la rue Bleue, soudain illuminée par les rayons d'un capricieux soleil d'avril, on s'est prise à rêver que si la rue Bleue s'appelait ainsi, c'était parce que... parce que...

C'était parce que dans cette rue se trouvait un café, dont on a poussé la porte tout doucement...

Assis à une table vers le milieu de la salle, Nicolas et son précieux ami René discutent autour d'un verre sur la meilleure façon de définir le cassé-bleu. Ils sont rejoints par Yves, un traité de chimie à la main, l'esprit et le regard un peu absorbés par la recherche de la formule du parfait IKB, puis par Paul, qui pose une orange au milieu de la table...
Sur une banquette dans un coin, deux jeunes femmes, des feuilles manuscrites étalées devant elles, comparent et affinent les traits de leurs personnages encore à peine ébauchés. L'une, Françoise, cheveux blonds et raides, parle fiévreusement du vague à l'âme que traînent Sébastien et sa sœur Éléonore, tandis que l'autre, Régine, chevelure flamboyante, décrit à sa compagne le destin de Léa, qui franchit la ligne de démarcation à vélo...
Juchés sur des tabourets, deux gamins jouent aux grandes personnes en s'accoudant au bar. Le petit Daniel, qui préfère déjà qu'on l'appelle Christophe, chantonne à son ami Alain la mélodie qu'il a inventée pour accompagner le poème qu'a écrit son copain Jean-Michel, et Alain, musicien en herbe lui aussi, s'imagine déjà chantant ces mots qu'on dit avec les yeux...
La porte s'ouvre, un homme grand et maigre entre, entouré de deux jeunes filles volubiles tout en grâce. L'une, Reinette, l'appelle Maurice, l'autre, Mirabelle, l'appelle Eric. Leur discussion porte sur le choix du lieu où ils iront tous les trois, demain matin, pour observer et écouter la minute de juste avant l'aube...

Alors, se retirant sur la pointe des pieds, on se dit que oui, on en est maintenant sûre, la rue Bleue doit son nom à ce café de la jeunesse offerte à l'éternité, où, comme dans le bistrot préféré de Renaud, on croise de bien belles personnes.

10 commentaires:

  1. Un Anonyme fantomatique29 avril 2014 à 17:54

    Solutions:

    Nicolas de Staël,
    René Char,
    Yves Klein,
    Paul Éluard (? — à cause de son célèbre poème comparant la Terre à une orange pourrie?);

    Françoise Sagan (et les personnages des Bleus à l'âme),
    Régine Deforges (et l'héroïne de La Bicyclette bleue);

    Daniel Bevilacqua dit Christophe,
    Jean-Michel Jarre, parolier des Mots bleus,
    Alain Bashung, qui en donna une belle reprise;

    Maurice Scherer alias Éric Rohmer, et les héroïnes de L'heure bleue.

    Ah, et si Maxime est absent, c'est qu'il s'est attardé dans une maison à San Francisco.

    Ai-je bien tout suivi?

    Merci pour ces devinettes, et surtout pour toutes ces belles choses au fil des jours, Florence.

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  2. Merci à vous, Anonyme fantomatique (êtes-vous l'Anonyme historique d'un autre blogue ?), pour vos visites fidèles.
    En écrivant ces quelques lignes, je ne pensais pas poser ainsi des devinettes, mais après tout, pourquoi pas ? Arriver à intéresser et faire jouer les fantômes, voilà est plutôt flatteur. En tous cas, oui, vous avez bien tout suivi. Je demeure néanmoins perplexe (et ne suis pas sûre de vous suivre) sur l'orange "pourrie", mais bon... !

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  3. l'Anonyme fantomatique de ce blogue et d'un autre29 avril 2014 à 23:42

    En effet Florence, j'ai aussi l'honneur de hanter, de manière irrégulière mais historique, le blogue de Mr. G.W.F. Weaver. Que je salue amicalement, puisqu'il nous lit sans doute.

    "La terre est bleue comme une orange": la comparaison, à première vue arbitraire et surréaliste, fait pourtant sens si l'on imagine l'orange couverte de moisissure. C'est Jacques Roubaud qui fait quelque part cette remarque, si je me souviens bien; faut-il le prendre au sérieux? Peut-être pas; mais pourquoi non, après tout?…

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  4. Salutations bien évidemment retournées avec le plus grand plaisir, cher Anonyme historico-fantomatique !

    Et merci pour ce beau texte, chère Florence, d'ingénieuse inspiration et émouvant à souhait — sans aller jusqu'à filer le blues (saperlotte, j'ignorais complètement que le parolier des Mots bleus était Jean-Michel Jarre !).

    Ne manque à mon sens que Jean-Patrick, qui en avait un petit sur la côte ouest…

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  5. l'Anonyme fantomatique de ce blogue2 mai 2014 à 11:54

    ¶ Jean-Michel Jarre a aussi écrit pour Christophe les paroles des Paradis perdus et de Señorita. Une question se pose: n'aurait-il pas été mieux valu pour nous qu'au milieu des années 70 il laisse tomber la musique et se consacre plutôt à l'écriture de chansons?…

    ¶ À propos du blues: dans Stello ou les diables bleus (1832), Vigny met en scène un personnage travaillé par une profonde mélancolie. Celui-ci énumère les symptômes de son mal au Docteur Noir, dont le diagnostic tombe aussitôt: "vous avez les diables bleus, maladie qui s'appelle en anglais blue devils." Littré confirme, à l'article Diable: "Les diables bleus, nom que les Anglais donnent à une sorte de mélancolie, de vapeurs." À la faveur d'une ellipse, "j'ai les diables bleus" a fini par se dire simplement "I've got the blues". Si on écoute le bel enregistrement de Lovesick Blues par Emmett Miller en 1928, on note que dans l'introduction parlée, il reprend "I've got the blues" par "I've got them": ce them prouve qu'à ce moment là encore, me semble-t-il, on se souvenait (au moins confusément) du sens premier de blues.

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  6. Merci, chers George et Anonyme de nos blogues, pour vos commentaires et très intéressantes précisions. Avoir les diables bleus, quelle belle expression.
    Maxime, Jean-Patrick, oui, ils sont passés ou passeront un jour dans ce café, de même que sans doute Jérôme discutant avec Jacques du choix de l’illustration de son prochain roman noir et bleu…

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  7. Jérôme, je vois, bien sûr, mais je ne parviens pas à identifier ce Jacques-là : pour l'illustration en noir et blanc et en harmonie, je ne vois que Jean-Claude…

    Fichtre, cher Anonyme, vous êtes décidément plus qu'indispensable ! Je ne connaissais nullement cette expression savoureuse avec sa réduplication (?) de syllabe, ce qui me fait penser que maintenant que les supermarchés pour pauvres ont abandonné l'enseigne "Ed", à la nuit tombante j'ai le Dia bleu-bleu…

    Bien d'accord pour Jean-Michel, mais il aurait pu tout de même s'abstenir d'écrire cette tératologie qu'est Le dernier des Bevilacqua.

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  8. Ah oui, pardon : Monory, sans doute (mais pas le René de sinistre mémoire…)

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  9. Voilà que ça me revient maintenant : il y a un récit de Louis Nucera qui s'intitule Avenue des diables bleus. Je me disais bien que cette expression m'évoquait quelque chose…

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