mercredi 5 août 2015

Le clocher bleu de Vachères



"Quand le courrier de Banon passe à Vachères, c'est toujours dans les midi.
On a beau partir plus tard de Manosque les jours où les pratiques font passer l'heure, quand on arrive à Vachères, c'est toujours midi.
Réglé comme une horloge.
C'est embêtant, au fond, d'être là au même moment tous les jours.
Michel, qui conduit la patache, a essayé une fois de s'arrêter à la croisée du Revest-des-Brousses, et de "tailler une bavette" avec la Fanette Chabassut, celle qui tient le caboulot des Deux-Singes, puis de repartir tout plan pinet. rien n'y fait. Il voulait voir ; eh bien ! il a vu !
Sitôt après le détour "d'Hôpital", voilà le clocher bleu qui monte au-dessus des bois comme une fleur et, au bout d'un petit moment, voilà sa campane qui sonne l'angélus avec la voix d'une clochasse de bouc."


"Le clocher de Vachères est tout bleu ; on l'a badigeonné de couleur depuis la sacristie jusqu'au petit chapeau de fer. Ça, c'est une idée de ce monsieur du domaine de la Sylvabelle. Il n'a pas voulu en démordre.
- Puisque je vous dis que je paye la couleur, moi, toute la couleur ; et que je paye le peintre, moi ; puisque je vous dis que vous ne payez rien et que je paye tout, moi !
Alors, on l'a laissé faire. Ça n'est pas si vilain et puis, ça se voit de loin...
Ceux qui voyagent dans la voiture du courrier le regardent longtemps, ce clocher bleu, tout en mâchant l'andouillette. Ils le regardent longtemps parce que c'est le dernier clocher avant d'entrer dans le bois, et que, vraiment, à partir d'ici, le temps change.
Voilà : de Manosque à Vachères, c’est colline après colline, on monte d’un côté on descend de l’autre, mais, chaque fois, on descend un peu moins que ce qu’on a monté. Ainsi, peu à peu, la terre vous hausse sans faire semblant. Ceux qui ont déjà fait le voyage deux ou trois fois s’en aperçoivent parce qu’à un moment donné il n’y a plus de champs de légumes, puis, parce que le blé est de plus en plus court, puis, parce qu’on passe sous les premiers châtaigniers, puis, parce qu’on traverse à gué des torrents d’une eau couleur d’herbe et luisante comme de l’huile, puis, parce que enfin, paraît la tige bleue du clocher de Vachères, et que, ça, c’est la borne."

Jean Giono, Regain


Le clocher de Vachères n'a jamais été bleu. Quoique. Le clocher est bleu dans l'imagination et la vision de Giono. C'est la Provence fantasmée, mythique, romanesque, du poète. Qui a toujours raison.
"Regardez-le bien, votre clocher. N'est-il pas bleu ?" avait dit Giono à des écoliers de Vachères en leur montrant le ciel à travers l'ouverture du clocher.



10 commentaires:

  1. l'Anonyme atopique de ce blogue5 août 2015 à 16:03

    Bonjour Florence,
    Connaissez-vous cette étude sur les Provence de Giono? J'ai un faible pour la dernière de l'énumération, ce "Sud imaginaire" qu'il a en grande partie créé (comme Faulkner son état de Yoknapatawpha) à partir de lieux réels; et dont il a un jour déclaré: "L’écrivain qui a le mieux décrit cette Provence, c’est Shakespeare." On pourrait ajouter: avec Pascal et Dostoïevski…

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    1. Ah non, je ne connaissais pas, merci bien pour cette étude qui a l'air très intéressante et que je vais lire. Je vois que la rue d'Ulm reste dans les parages... !

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  2. l'Anonyme atopique de ce blogue5 août 2015 à 23:47

    Ah, la Bibliothèque a fermé la semaine dernière pour un mois, il a fallu trouver un point de repli.
    Non, sérieusement, je n'y suis plus si souvent. (Une génération passe, une autre lui succède…)
    Mais c'est sans doute là que mon fantôme reviendra flâner un jour.

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  3. Je ne parviens malheureusement pas à accéder à l'article de Patrick Cabanel (la faute à l'antiquité de ma bécane belle) mais ayant aperçu le sommaire du numéro 191 je constate avec un certain amusement qu'un autre article est consacré à Joseph d'Arbaud, aïeul injustement méconnu d'une de mes fiancées d'antan…

    Sinon, cher Anonyme atopique, vous avez du courrier dans la boîte…

    Et Florence, merci pour ces pertinences !

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  4. Merci à toi pour ces visites, cher George !
    Je t'envoie par messagerie les deux articles, celui de Patrick Cabanel (qui lui aussi a fréquenté les bancs de l’École, c'est ce que voulais dire, cher Anonyme atopique !) et celui sur Joseph d'Arbaud (que je ne connaissais même pas de nom).

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  5. Mille mercis, chère Florence (qui rime non seulement avec "pertinence" mais aussi avec "prévenance"…) !

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  6. Sans verser dans le délire de la radiogionométrie, on remarquera tout de même que la traduction anglaise du mot "Vachères" donnerait quelque chose comme "cow-girls".

    Ce qui rappelle justement le titre d'un film de Gus van Sant de 1993, adapté d'un roman de Tom Robbins de 1976, Even Cow-Girls Get the Blues, qui nous ramène incidemment au bleu qu'évoque ici Giono…

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  7. Jolie, très jolie correspondance !

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  8. J'avoue modestement que je n'en suis pas peu fier, mais j'ai distraitement oublié de donner la traduction approximative du titre de ce film :
    Même Vachères a du bleu

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  9. ... alors que c'est normalement le pays du fromage de chèvre !

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