vendredi 8 novembre 2019

Nostalgie d'un pissenlit



"Pas un pissenlit en vue ici, les pelouses sont soigneusement épilées. J'ai la nostalgie d'un pissenlit, un seul, poussé au hasard, dans son insolence d'ordure, difficile à éliminer et perpétuellement jaune comme le soleil. Gai et plébéien et brillant pareillement pour tous. Nous en faisions des bagues, et des couronnes et des colliers, nous tachant les doigts de son lait amer. Ou j'en tenais un sous son menton : Est-ce que tu aimes le beurre ? À les sentir, elle se mettait du pollen sur le nez (ou étaient-ce les boutons-d'or?). Ou montés en graine : je la vois, courant à travers la pelouse, cette pelouse qui est là juste devant moi, à l'âge de deux, trois ans, brandissant un pissenlit comme une allumette japonaise, petite baguette de feu blanc, et l'air se remplit de minuscules parachutes. Souffle, et tu pourras savoir l'heure. Toutes ces heures envolées dans la brise d'été. C'étaient les marguerites pour lire l'amour, et nous les effeuillions à l'infini."

Margaret Atwood, La Servante écarlate


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire