Psyché ranimée par le baiser de l'Amour - Villa Carlotta - Lac de Côme
"L'Amour et Psyché,
de Canova : je n'ai rien regardé du reste de la galerie ; j'y suis
revenu à plusieurs reprises, et à la dernière j'ai embrassé sous
l'aisselle la femme pâmée qui tend vers l'Amour ses deux longs bras de
marbre. Et le pied ! Et la tête ! le profil ! Qu'on me pardonne, ç'a été depuis longtemps mon seul
baiser sensuel ; il était quelque chose de plus encore, j'embrassais la
beauté même, c'était au génie que je vouais mon ardent enthousiasme."
Flaubert, Notes de voyages, 1845
La Villa Carlotta - Été 2009
Bellagio, depuis la Villa Carlotta
Et, comme un clin d’œil malicieux du hasard, à Bellagio on découvre cet hôtel étrangement nommé où ont notamment séjourné Puccini, Kurt Weill, le jeune prodige Nino Rota, Sartre et Beauvoir...
"On voudrait vivre ici et y mourir : tous les sentiments de la nature s'y trouvent réunis et le grand prédomine."
Gustave Flaubert, Notes de voyage
"Que dire du lac de Côme, sinon plaindre les gens qui n'en sont pas fous ?"
Celui qui n'est encore qu'Henri Beyle, à 17 ans
Et sur le village de Bellagio :
"son aspect sublime et gracieux que le site le plus renommé du monde, la baie de Naples, égale mais ne surpasse point."
Stendhal, La Chartreuse de Parme
"J'avais enfin une vie ! Les promenades dans les livres se doublaient de promenades délicieuses avec des êtres réels.
Les villes, dès lors, surtout à l'automne et au printemps, sont comme un seul chemin prolongé ou un portique immense. On y marche sans fatigue pendant des heures. L'un raccompagne l'autre puis l'autre l'un. Les avenues, les rues, les allées n'ont d'autre fonction que de servir de décor à des discussions passionnées, interminables et tendres. Les passants, les voitures, les arbres, les carrefours, le soleil sont profusément là, à titre gracieux, pour une figuration bon enfant. Sans le savoir vraiment, on est dans un futur souvenir que rien n'effacera. On ne le sait pas parce qu'on se croit à jamais dans le présent."
Dominique Noguez, Dans le bonheur des villes : Rouen, Bordeaux, Lille
C'était en février dernier. Il faisait froid et il tombait des cordes. Mais qu'importe puisque la Librairie Charybde recevait Serge
Quadruppani, et rue de Charenton cette soirée-là fut ensoleillée et
chaleureuse comme l'Italie, comme la Sicile. Avec Hugues, le libraire, on a lu à deux voix des extraits des trois derniers romans de Serge Quadruppani, qui mettent en scène la ô combien savoureuse, râleuse, rusée, gourmande, charmeuse, sensuelle commissaire Simona Tavianello à la crinière vieil ivoire, aux prises avec les collusions de l'argent et du pouvoir sous toutes leurs formes - la mafia, les services secrets, l'industrie agroalimentaire, les journalistes télé véreux... On a lu aussi un extrait d'Un été ardent, un des plus beaux et émouvants romans de la série des Montalbano du maestro Andrea Camilleri, dont Serge Quadruppani est le génial traducteur - et auquel il rend hommage à plusieurs reprises dans la série des Simona Tavianello, notamment en le faisant apparaître en personne dans Saturne. Puis la discussion s'est engagée entre le public et Serge, qui a répondu aux questions avec humour, malice et gentillesse. Il a notamment expliqué la genèse du personnage de Simona, a dit l'utilité, dans chaque livre de la série, de l'âne, du chien, du chat et du lapin, a raconté une belle anecdote sur Camilleri et Sciascia. On a aussi un peu débattu de problèmes cruciaux comme de savoir si Livia, l'éternelle fiancée de Montalbano, était insupportable ou pas... Et pour terminer cette belle soirée, comme quoi l'amour de l'Italie ne rend pas sectaire, on est allés manger... chinois !
« Le lieutenant Licata tarda un peu à se mettre debout. La commissaire lui adressa un sourire qu'elle voulait amical, mais craignant qu'il y voie de la moquerie pour le rôle secondaire auquel on l'assignait, elle reprit aussitôt une expression neutre. Celle du patron des services d'information était toujours aussi peu déchiffrable. On échangea des poignées de main.
Et seul un narrateur omniscient, mal venu dans une époque postmoderne, aurait pu nous faire savoir qu'en serrant dans sa grande main énergique et manucurée les cinq doigts dodus de la commissaire, Febbraro pensa "Sale pouffiasse rouge, on va te niquer la gueule" tandis que Simona songeait "Fasciste de merde, tu crois que je ne te vois pas venir ?" » Saturne
"La grande fenêtre ouvrait sur le manège des écuries du roi Et sur l'horloge qui marquait toujours la même heure Celle de la jeunesse et des midis éternels Pendant la journée La Lilliputienne peignait ses tableaux Et moi A côté d'elle J'écrivais un poème."
"Et tu comprendras que les sirènes Sont encore plus belles Quand elles se taisent"
Elle : J’ai une belle idée de cadeau qui me ferait très
très plaisir. Moi : Ah, dis moi, c’est quoi ? Elle : Le De natura rerum, de Lucrèce, aux Belles Lettres, collection
Guillaume Budé. Tu sais, la couverture rouge avec la louve dessus. J’en
rêve la nuit.
"Je t’écris ô mon Lou de la hutte en roseaux Où palpitent d’amour et d’espoir neuf coeurs d’hommes Les canons font partir leurs obus en monômes Et j’écoute gémir la forêt sans oiseaux" Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou, 1915
Et aussi De toi depuis longtemps je n'ai pas de nouvelles, lu ici par Jean-Louis Trintignant.
"Comme
si cela ne suffisait pas, à peine s'étaient-ils extraits de leur cache,
il a fallu qu'un chasseur Nieuport vînt à s'écraser et se disloquer en
explosant sur la tranchée, tout près de l'abri, multipliant un
cataclysme de poussière et de fumée - à travers quoi ils ont pu voir
brûler deux aviateurs tués dans le choc et restés démantelés sur leurs
sièges, transformés en squelettes grésillants maintenus par leurs
courroies. Le jour tombait cependant, qu'on ne voyait d'ailleurs pas
tomber dans ce désordre, et au moment de sa chute un calme relatif a
paru se rétablir un moment. Il semblait néanmoins qu'on désirât conclure
par un dernier déferlement, un final de feu d'artifice, car une
canonnade gigantesque a repris : Anthime et Bossis se sont encore
trouvés couverts de terre par l'explosion d'un nouvel obus, tombé sur la
sape qu’ils venaient à l’instant de quitter et dont la voûte, sous
leurs yeux, n'a pas résisté à l'impact."
Et aussi le plaisir, comme pour un Rivage des
Syrtes ou un Château d’Argol, de couper les pages avant de lire…
« Quand j’entends Mastroianni – avec cette voix plus
basse, plus grasse, plus grenue que ce qu’induit son apparence physique assez
fragile de séducteur un peu trop beau (l’avatar d’après-guerre et non gominé de
Rudolf Valentino) – répondre auto-ironiquement à son ami hospitalisé qui lui
prédit que son dernier roman aura du succès : "Ho proprio il dubbio di finire male" (Je sens que je vais
finir mal), ou Monica Vitti soupirer à la fin de la nuit, de sa voix un peu
rauque, à Giovanni et Lidia (Marcello Mastroianni et Jeanne Moreau) quelque
chose comme "Me avete tutta
distrutta voi due, stanotte !" (Vous m’avez anéantie tous les
deux, cette nuit !), comment ne tomberais-je pas amoureux de la langue
italienne, comment, en tous cas, ne serais-je pas fasciné par l’irréductible
spécificité rythmique et vocale de ces phrases dont les sous-titres me livrent
la signification mais, surtout, dont la VO me restitue l’épaisseur
signifiante ? »
Dominique Noguez,Ce que le cinéma nous donne à désirer – Où
l’on passe au Japon une nuit avec La Notte et les clartés qui s’ensuivent