lundi 27 octobre 2014

Un grand verre de mémoire


"Je m'esquive sans bouger. Je bois à la santé d'images, de chansons, d'automnes où j'ai découvert un signe - mais lequel ? Je bois pour me givrer, pour que se brise le cristal - parfois c'est une vitre abominablement souillée - qui me sépare de fêtes anciennes. Un grand verre de mémoire.
« Vous vivez toujours deux fois, n'est-ce pas ? »
La main de monsieur Petitfils s'est posée sur mon épaule, et je sursaute.
« Pardon ?
- Je connais ce genre de sport et je le pratique moi-même depuis longtemps. »"

* * *

"On songe avec nostalgie et avidité à quelque splendide désordre, capable de ranimer le chant et de ressusciter les puissances vraies du langage. Je relisais ces jours-ci un merveilleux ouvrage d'André Hardellet : Lourdes, lentes... paru chez Pauvert il y a quatre ans et signé Stève Masson, un pseudonyme qui n'en est pas un puisque ainsi se nomme le héros d'un précédent livre d'André Hardellet : Le Seuil du jardin, dont s'enchantait André Breton et dont on fit un film. Lourdes, lentes... est un chef d’œuvre de la poésie. La femme y est un paysage : elle est saveur, touffeur, odeur. Tout cela s'exprime au plus juste, avec une pudeur exemplaire du sentiment. Eh bien, ces pages si sensibles et si belles méritent à l'auteur de passer devant la 17e chambre correctionnelle, entre un exhibitionniste et une clandestine. Ah, mais c'est que nous avons fait des progrès, par rapport au Second Empire et à l'ordre moral, ces périodes molles... [...]
J'enrage, c'est vrai. Je vois partout en action l'hypocrisie confortable et rusée. Et je sais bien, moi, pourquoi la poésie gêne tant de nantis de tous bords : c'est qu’elle témoigne pour l'impatience, et que l'impatience est la plus terrible des vertus. Elle veut le corps pour le corps. Elle exige le temps de vivre - qui est aujourd'hui, du temps perdu. Elle réclame l'univers entier, avec ses pluies et son soleil, ses femmes de toutes les couleurs et ses animaux géants. Elle proclame l'être - ce qui est ruineux. Vous ne vous êtes pas trompé : elle est votre ennemie. La plus implacable et la plus dangereuse, même si elle est désarmée et dérisoire. Il restera toujours un poème, fût-ce au dernier jour du monde."
Hubert Juin, Le Figaro, 20-22 avril 1973

"[...] De quoi peut-on vous déclarer coupable ? De bien écrire ? [...] n'ont-ils pas compris, en lisant ce texte, qu'ils avaient affaire à un écrivain, un vrai, et à un poète ? [...]
Mon cher Hardellet, vous aimez l'amour : voilà votre crime. Vous en serez puni. Car vous êtes poète, mon pauvre vieux, c'est-à-dire con et criminel.
Je vous embrasse." 
Jean-Louis Bory, lettre à André Hardellet, 25 avril 1973

"Pour avoir, il y a quelques années, dans Lourdes, lentes..., évoqué "le vert paradis des amours enfantines", pour avoir rêvé au long des jardins de Londres et dans les couloirs de l'hôtel Victoria à Amsterdam, pour avoir voulu se souvenir, rêver,  et écrire un beau livre d'amour, M. André Hardellet vient d'être condamné à 2 000 F d'amende et à la destruction de son livre. Il en est ainsi, dans la France de 1973, où les juges ne semblent guère avoir acquis le sens du ridicule. [...] 
M. André Hardellet est l'un de ces écrivains dont nous avons plus que jamais besoin. Dans la lignée de Nerval et de George Du Maurier, de Lewis Carroll et de l'auteur inconnu de Madame Solario, il nous initie au rêve, il nous accompagne de l'autre côté du miroir. Il nous découvre la réalité des choses, c'est-à-dire leurs secrets [...] Avec M. Hardellet la poésie devient, selon le mot de Novalis, le « réel absolu »."
Bernard Delvaille, Combat, 14 novembre 1973


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