Il y a quelque temps,
sur les traces de Nestor Burma dans Brouillard au Pont de Tolbiac de Léo Malet, en particulier dans son adaptation par Tardi, j'avais cherché en vain le passage des Hautes-Formes, où habitaient son ancien camarade anarchiste Lenantais avant qu'il ne soit assassiné, ainsi que la belle gitane Bélita.
Déception ! Le passage des Hautes-Formes, reliant la rue Nationale à la
rue Baudricourt, n'est plus, englouti à la fin des années 70 par un programme de constructions
modernes. Ironie du sort, lui qui tirait son nom de quelques maisons
édifiées au Moyen Age se distinguant par leur hauteur supérieure à la
moyenne de l'époque, a aujourd'hui disparu au profit de tours et immeubles élevés
comme on en trouve beaucoup dans le XIIIe arrondissement.
Cependant, au détour d'un billet sur un
autre vagabondage dans le treizième arrondissement, Matthieu de
Missa Sine Nomine (que je remercie vivement !) me mit récemment sur la piste du passage Bourgoin cher au Sniper de Frédéric H. Fajardie. Quelques rapides recherches plus loin, quelle ne fut pas ma surprise de constater que ce passage Bourgoin (situé entre la rue Nationale et la rue du Château-des-Rentiers), distant d'à peine quelques encablures de l'ancien passage des Hautes-Formes, avait en fait servi de modèle à Tardi pour dessiner ce dernier dans
Brouillard au Pont de Tolbiac !
Une nouvelle promenade, idéale en un radieux dimanche de printemps - dans une atmosphère certes assez éloignée du brouillard et de la pluie hivernaux associés au passage aussi bien chez Tardi que chez Fajardie -, s’imposait donc.
"Alain Sigualéa gara la Méhari rue
Nationale et, l'attaché-case dans une main, une gerbe de roses rouges
dans l'autre, pénétra dans le passage Bourgoin.
Une fois de plus, et bien qu'il y habitât depuis trois ans, il s'immobilisa pour contempler la ruelle,
trop peu large pour livrer passage à une voiture.
Ça ne ressemblait à aucun autre endroit
de Paris. Un petit défilé bordé de minuscules pavillons. De loin en
loin, d'antiques réverbères distribuaient une lumière parcimonieuse en délicats halos, corolles frissonnantes dans l'épaisse
brume d'hiver.
Bien qu'il n'eût jamais vu ni l'un ni
l'autre, ça lui évoquait un décor de maison de poupées, ou encore ces ruelles
irlandaises, à Dublin, et ce type, le "Mouchard", dans le roman d'O'Flaherty. Manquait plus, à l'entrée, qu'un Fish and Chips enveloppant de papier journal les rations fumantes.
Alain Sigualéa savoura son bonheur
quelques secondes encore et, comme tombaient les premières gouttes, obliques
et froides, d'une petite pluie, il se remit en route.
Il s'arrêta trente mètres plus loin devant une porte peinte en vert qu'il ouvrit. Puis, sans un regard pour les quelques mètres carrés du jardin floral et potager, extraordinairement soignés, il gravit l'escalier de bois et entra directement au premier étage."
Frédéric H. Fajardie, Sniper
Le passage Bourgoin tient son nom du propriétaire des parcelles (initialement agricoles) sur lequel il a été ouvert vers 1880. Etienne Bourgoin possédait également les terrains de son voisin jumeau le passage National. Plus chanceux que le passage des Hautes-Formes, ils ont tous deux échappé au début des années 1980 à une destruction programmée, et sont maintenant protégés. Comme souvent dans le XIIIe, charme de province paisible et contrastes ancien / moderne sont au rendez-vous.
"Le Sniper habitait dans le coin. Ça, il le sentait.
Un coin… intéressant. Compliqué, certes,
parce que ce mélange de taudis et d'immeubles hyper-modernes, ces
migrants et ces cadres, ça formait un cocktail bizarre.
Mais indéniablement intéressant.
Il songea, le cœur léger, qu'il allait
lui falloir beaucoup lire et beaucoup se balader avant de bien connaître
le XIIIe arrondissement.
Justement, deux choses qu'il aimait."
Frédéric H. Fajardie, Sniper
* * *
En rentrant par la Butte-aux-Cailles, on croisera un poète...
... un autre charmant passage endormi, le passage Boiton ...
... encore des glycines, ici dans le passage du Moulinet...
... et, rue du Moulin-des-Prés, Michel et Patricia s'embrassant pour l'éternité comme dans la
rue Xavier Privas.