mardi 6 août 2013

Un pont sur la Loire

"- Merde ! maugréa le capitaine Rollet, abrité derrière le parapet du pont.
Réserviste de quarante-quatre ans, fonctionnaire au ministère des Finances, père de famille et socialiste, il se demandait encore pourquoi il avait accepté de défendre ces ponts. Peut-être les regards curieux, voire amusés, des soldats sénégalais creusant le fossé antichar et prêts à se battre pour un pays qui n'était pas le leur, peut-être ces regards pesèrent-ils lourds dans sa décision, suscitant chez le capitaine une honte diffuse."

"Le sergent-chef Henri Dragance était âgé de cinquante-deux ans. Grand, mince, de larges épaules, le front haut et dégarni, les cheveux gris, le visage osseux et tourmenté, il ne manquait cependant pas de charme, et le savait parfaitement. Dans le civil c'était un romancier relativement connu, soutenu par son éditeur, Gaston Gallimard, qui semblait l'estimer. Pourtant, il n'avait jamais rencontré de grand succès mais avait conquis un public fidèle et non conformiste, roman après roman. Soldat dans l'artillerie en 1914-1918, il avait été nommé lieutenant mais cassé de son grade pour avoir giflé son colonel qui avait donné l'ordre de tirer au canon sur des soldats mutinés en 1917."

"Ils n'avaient pas d'âge, probablement entre quarante et cinquante ans. Pas d'allure. Pas de style. des petits bourgeois frileux, contrariés, hargneux, déjà avant que ne fût échangée une parole.
Le maire, Ferdinand Labarthe - entrepreneur de pompes funèbres-, se présenta puis en fit autant pour les deux hommes qui l'accompagnaient :
- Pierre Haudrusse, premier adjoint, pharmacien. Gaston Gollety, avocat au barreau d'Orléans, conseiller municipal.
Dragance, qui se limait les ongles avec soin, répondit sans même lever la tête :
- Un emballeur de refroidis, un potard et un bavard : la sainte trinité des culs-de-plomb."

Frédéric H. Fajardie, Un pont sur la Loire

Comme d'habitude, un bonheur de lecture. Du Fajardie, quoi.

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